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Appréciation de l’originalité – Calcul du préjudice

CA Paris, pôle 5, ch. 2, 19 janv. 2016, n° 14/10676 : JurisData n° 2016-001247

(…)

Sur l’originalité des dessins de dentelle.

Considérant que la société appelante prétend que ses dessins sont originaux, leurs caractéristiques originales procédant de choix et d’agencements particuliers reflétant la personnalité de leur auteur et sa propre créativité ; que les sociétés intimées ne peuvent exiger qu’elle démontre que l’état de l’art antérieur ne comportait pas d’antériorité.

Que les sociétés intimées répondent qu’il incombe à l’appelante de démontrer l’originalité alléguée en exposant l’état de l’art antérieur et en indiquant précisément en quoi consisteraient l’empreinte de la personnalité de l’auteur et son effort créateur par rapport à cet art antérieur ; que la description à laquelle se livre l’appelante, aussi détaillée soit elle, n’est pas une démonstration de l’originalité.

Considérant que le principe de la protection d’une œuvre, sans formalité, du seul fait de la création d’une forme originale n’est pas discuté, mais il incombe à celui qui entend se prévaloir des droits de l’auteur de caractériser l’originalité de cette création, l’action en contrefaçon de droits d’auteur étant subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une œuvre de l’esprit protégeable au sens de la loi, c’est-à-dire reflétant la personnalité et la créativité de son auteur.

Considérant que le dessin de dentelle n° 43844/71144 consiste en un motif floral de style baroque, représentant des fleurs de lys, dont certaines sont à peine ouvertes et dont le pétale supérieur dépasse et est bordé de quatre petits bourgeons recroquevillés ; que la fleur plus à plat présente cinq pétales dont l’un est plus clair et représente de petits trous ; que sont accolés sur le pétale opposé trois petits bourgeons recroquevillés ; que la dentelle est parsemée de gros pois pleins, souvent regroupés par 2 ou 2 ; que des contrastes apparaissent, deux à trois tissages différents étant utilisés pour chaque élément floral ; qu’un fil délimite chaque élément et permet de contraster avec le fond.

Que le dessin de dentelle 70604/70614, de style baroque, consiste en un tissage quadrillé sur lequel sont apposés des motifs en forme d’arabesque ainsi que des petites fleurs à six pétales ; qu’un premier motif est composé de deux arabesques, lesquelles se rejoignent par une petite fleur à six pétales, cette petite fleur se poursuivant par un motif en forme de U arrondi, avec un petit point en son centre ; que plusieurs autres arabesques et petites fleurs composent le fond ajouré ; qu’à côté de ce fond, se distingue un dessin de forme arrondie, composé en son centre de la même petite fleur à six pétales, du motif en forme de U arrondi ainsi que d’un motif de feuille de chêne à trois trous ; que sont intégrés au dessin différents points de différentes tailles.

Considérant que l’originalité de ces deux dessins de dentelle réside dans la combinaison particulière, pour le premier, de motifs floraux et de feuillages, et pour le second, de motifs en forme d’arabesque et de fleurs, ces combinaisons par leur caractère arbitraire et purement esthétique, reflétant la créativité et la personnalité de leur auteur.

Que les sociétés intimées, qui n’opposent elles-mêmes aucune antériorité, ne sauraient exiger de l’appelante qu’elle apporte la preuve que l’art antérieur ne comportait pas d’antériorité, étant rappelé que l’antériorité est inopérante en droit d’auteur et qu’en tout de cause les intimées ne rapportent pas la preuve que les combinaisons de motifs floraux et de feuillages ou d’arabesques et de fleurs tels que reproduites dans les dessins revendiqués étaient banales.

Que les deux dessins de dentelle n° 43844/71144 et n° 70604/70614 exploités par l’appelante bénéficient, par conséquent, de la protection instituée au titre du droit d’auteur.

(…)

NOTE :

Pour tenter de dénier toute originalité à des dessins de dentelle qui lui étaient opposés, les sociétés H&M soutenaient qu’il appartiendrait à la société qui la poursuivait en contrefaçon de démontrer leur originalité « en exposant l’état de l’art antérieur et en indiquant précisément en quoi consisteraient l’empreinte de la personnalité de l’auteur et son effort créateur par rapport à cet art antérieur, la description à laquelle [elle] se livrait, aussi détaillée soit-elle, [n’étant] pas une démonstration de l’originalité ».

On sait que dans le domaine des arts appliqués il serait difficile, sinon impossible, pour les créateurs de reconstituer la genèse de leur dessin ou de leur modèle dont la propriété s’identifie, sauf preuve contraire, à leur exploitation.

C’est la raison pour laquelle la jurisprudence dominante n’exige pas que le demandeur à l’action en contrefaçon prouve l’originalité du dessin ou du modèle qu’il revendique mais seulement qu’il « caractérise » l’originalité de son œuvre, c’est-à-dire qu’il justifie de sa date de création d’une part et qu’il la définisse dans ses éléments constitutifs d’autre part (notamment CA Paris, pôle 5, ch. 2, 18 déc. 2015, n° 13/23093, Mlle Aurélie B., c/ S.A.R.L. H&M Hennes & Mauritz. – V. également Propr. industr. 2015, comm. 70, F. Greffe).

Il lui appartient donc, non pas de prouver l’originalité du modèle, mais à partir de sa définition de convaincre le tribunal qu’il répond aux conditions requises pour bénéficier de la protection de la loi.

C’est ce que rappelle très clairement la cour en soulignant que le défendeur à une action en contrefaçon ne peut exiger du demandeur qu’il démontre l’originalité en apportant « la preuve que l’art antérieur ne comporterait pas d’antériorité », ce qui constituerait une preuve impossible à rapporter et conduirait très certainement les tribunaux à refuser toute protection aux dessins et modèles, dans le secteur de la mode notamment.

La Cour de justice de l’Union européenne s’est également prononcée en ce sens, en matière de dessins et modèles non enregistrés, dans un arrêt du 19 juin 2014 selon lequel : « L’article 85 § 2 du règlement 6/2002 doit être interprété en ce sens que, pour qu’un tribunal des dessins ou modèles communautaires considère un dessin ou modèle communautaire non enregistré comme valide, le titulaire de ce dessin ou modèle n’est pas tenu de prouver que celui-ci présente un caractère individuel au sens de l’article 6 de ce règlement, mais doit uniquement indiquer en quoi ledit dessin ou modèle présente un tel caractère, c’est-à-dire identifier le ou les éléments du dessin ou modèle concerné qui, selon ce titulaire, lui confèrent ce caractère » (CJUE, 2e ch., 19 juin 2014, aff. C-345/13 : JurisData n° 2014-016009 ; Propr. industr. 2015, comm. 38 ; PIBD 2014, n° 1012, III, p. 704).

Dans le domaine de l’art industriel, l’originalité résultera en effet presque toujours de la réunion d’éléments ornementaux et c’est cette combinaison particulière et précisément définie, à savoir dans ce litige qui concernait des dessins de dentelles des combinaisons de « motifs floraux et de feuillages » et « de motifs en forme d’arabesque et de fleurs », qui, comme le relève la cour, par leur « caractère arbitraire et purement esthétique », reflètent la créativité et la personnalité de leur auteur.

Dès lors, à défaut pour les sociétés H&M d’avoir rapporté la preuve que ces combinaisons de motifs floraux  et de feuillages ou d’arabesques et de fleurs étaient banales, en produisant des pièces ayant date certaine issues de l’art antérieur, la cour a pu justement considérer qu’elles étaient éligibles à la protection par le droit d’auteur.

La contrefaçon étant servile, la cour avait ensuite à se prononcer sur l’évaluation du préjudice. Elle prend ici le soin de distinguer, conformément à l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, le préjudice lié au manque à gagner, le préjudice moral et enfin les bénéfices indûment réalisés par le contrefacteur.

S’agissant du préjudice lié au manque à gagner, la cour estime que les circonstances de l’espèce exigeaient qu’une fraction limitée de la masse contrefaisante soit seulement prise en compte au titre des ventes perdues au motif que « les clients qui acquièrent des vêtements en dentelle dans les boutiques H&M, n’auraient pas, pour la plupart, acheté de vêtements confectionnés avec des dentelles de la demanderesse en contrefaçon, de sorte que les ventes réalisées par H&M ne correspondent pas exactement au gain manqué ».

La Cour rappelle ensuite que le préjudice moral doit être rattaché au préjudice résultant de la banalisation des dessins contrefaits, laquelle est en l’espèce importante, les vêtements H&M étant commercialisés « à prix modique » alors que les dentelles contrefaites étaient principalement destinées à des clients prestigieux.

Enfin et surtout, la cour ajoute aux deux chefs de préjudice précédents les bénéfices matériels indûment réalisés par la société H&M auxquels doivent être rattachées les économies d’investissements intellectuels et promotionnels invoquées par la demanderesse, ce qui est conforme aux dispositions de l’article L. 331-1-3 précité du Code de la propriété intellectuelle, issu de la loi du 11 mars 2014, selon lequel le juge prend en considération « distinctement » toutes « les conséquences économiques négatives » de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subie, mais aussi le préjudice moral et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, le législateur ayant ainsi entendu rendre possible un cumul entre les conséquences économiques négatives et les bénéfices réalisés par le contrefacteur.

Avocat à la Cour
Professeur au CEIPI

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