passer au contenu principal
+33 1 45 00 76 18

CESSION IMPLICITE

CESSION IMPLICITE (CA Bordeaux, 11 janv. 2024, n° 23/02805)

Une société commerciale est mal fondée à opposer les dispositions restrictives des articles L. 131-2 et L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle à la personne qu’elle poursuit en contrefaçon laquelle est, en revanche, recevable à offrir la preuve d’une cession implicite à son bénéfice des droits d’exploitation sur les créations revendiquées.

La cession d’exploitation d’œuvres des arts appliqués n’est soumise à aucune exigence de forme. Au surplus, les dispositions de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle ne peuvent être invoquées que par l’auteur personne physique ou éventuellement par une personne morale, mais dans le seul cas d’une œuvre collective.

« (…) si la société appelante invoque le formalisme des dispositions de l’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle selon lesquelles « Les contrats par lesquels sont transmis les droits d’auteur doivent être constatés par écrit », il est constant qu’à l’encontre de la partie commerçante, la preuve certaine et précise de la transmission conventionnelle peut être faite par tous moyens.

En outre, s’agissant de l’application de l’article L. 131-3 du même Code selon lequel « La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée », il est rappelé que ces dispositions, relatives à la preuve des contrats d’exploitation des droits patrimoniaux de l’auteur, ne concernent que les rapports de celui-ci et de son cocontractant et qu’elles sont étrangères à un litige opposant deux commerçants dont l’un se prétend cessionnaire d’un droit de propriété intellectuelle ».

« (…) la société intimée est fondée à soutenir que la nature de la commande, la connaissance par l’appelante de la destination contractuelle des travaux commandés et son absence de contestation pendant de longues années, emportaient nécessairement dans la commune intention des parties, la cession implicite des droits d’exploitation pour la commercialisation des produits ».

Les dispositions des articles L. 131-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ont donné lieu à des difficultés d’interprétation, résultant, non pas seulement du libellé de ces dispositions qui ne sont pas claires, mais au fait qu’elles s’appliquent aussi et notamment aux œuvres des arts appliqués lesquelles doivent pouvoir être librement exploitées par ceux qui les ont commandées.

En l’espèce, il s’agissait de la réalisation et de l’exécution de l’univers graphique et du packaging de bouteilles de spiritueux créés par une agence conseil en design pour le compte d’une société produisant et commercialisant lesdites bouteilles (Propr. industr. 2024, chron. 8, F. Glaize et M. Faessel ; JCP E 2024, 1132, J. Elkaim ; Comm. com. électr. 2024, alerte 86)).

A la suite de la rupture de leur relation commerciale, l’agence a revendiqué les droits de reproduction sur ses créations en invoquant les dispositions des articles L. 131-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

L’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle subordonne la transmission des droits de l’auteur à la condition que « chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et à la durée ».

Cette disposition ne vise que les contrats « de représentation, d’édition, et de production audiovisuelle » visés à l’alinéa 1er de l’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle, contrats qui « doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d’exécution », ce que la Cour de cassation a rappelé à nouveau par un arrêt du 14 juin 2023 (Cass. 1ère civ., 14 juin 2023, n° 22-15.696 : JurisData n° 2023-010000 – v. encore, Cass. 1ère civ., 21 nov. 2006, n° 05-19.294 : JurisData n° 2006-036062 ; Propr. industr. 2007, comm. 33, note F. Greffe ; Comm. com. électr. 2007, comm. 3, note C. Caron).

Il est vrai que l’article 7 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ayant pour objet d’assurer la liberté de création est ainsi conçu : « Les contrats par lesquels sont transmis les droits d’auteur doivent être constatés par écrit ».

Cet article vient s’insérer après le premier paragraphe dans l’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle qui comporte les deux paragraphes suivants :

« Les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle définis au présent titre doivent être constatés par écrit. Il en est de même des autorisations gratuites d’exécution.

Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1359 à 1362 du code civil sont applicables ».

La question s’est alors posée de savoir quelles pouvaient être les œuvres concernées par le troisième paragraphe, compte tenu du deuxième et nouveau paragraphe « Les contrats par lesquels sont transmis les droits d’auteur doivent être constatés par écrit » et « Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1359 et 1362 du Code civil sont applicables ».

On imagine les difficultés qui pourraient résulter de l’application de l’article 7 pour les industries des métiers d’art, disposition à l’évidence inapplicable.

En réponse à une question qui lui avait été posée concernant l’interprétation de cet article, Madame la Ministre de la Culture a précisé, le 11 janvier 2018, que :

« La portée de la règle imposant l’existence d’un écrit n’est pas absolue. Il convient en effet de préciser que l’article L 131- 2 du CPI pose une règle de preuve et non une règle de fond conditionnant la validité des contrats. Si l’écrit est nécessaire pour administrer la preuve des contrats, son défaut est sans conséquence sur leur validité. L’absence d’écrit n’a pas davantage de conséquences sur l’opposabilité du contrat d’auteur aux tiers, laquelle est en principe indépendante de toute publicité ou formalité d’inscription sur un registre spécial. S’agissant du champ d’application de la règle généralisant l’exigence d’un écrit, les débats parlementaires laissent transparaître que la volonté initiale du législateur était de protéger les auteurs d’œuvres graphiques et plastiques, et notamment des arts visuels. Il faut en déduire que le législateur n’a pas entendu imposer cette règle de preuve aux arts appliqués qui sont au service d’une fonction utilitaire et bénéficie, à ce titre, d’un régime propre de protection reposant sur un cumul du droit des dessins et modèles et du droit d’auteur. A cet égard, en ne supprimant pas le dernier alinéa de l’article L 131- 2 du CPI qui précise que « Dans tous les autres cas, les dispositions des articles 1359 et 1362 du code civil sont applicables », l’article 7 de la loi du 7 juillet 2016 laisse entendre que l’exigence d’un écrit n’est pas généralisée à l’ensemble des contrats. La preuve de certains contrats continue d’obéir aux règles de droit commun posée par le code civil. Cette dernière réserve ne paraît désormais pouvoir être appliquée que dans le domaine des créations utilitaires, et notamment des œuvres des arts appliqués, où la fonction économique du droit est essentielle. La ministre de la culture sera attentive aux éventuelles jurisprudences qui pourraient venir confirmer ou contredire cette interprétation ».

Il faut donc considérer que les œuvres des arts appliqués ne sont pas concernées par les dispositions de la loi du 7 juillet 2016 et c’est ce que rappelle la Cour d’appel de Bordeaux dans son arrêt du 11 janvier 2024 (v. également, CA Paris, pôle 5, ch. 1, 11 janv. 2022 n° 20/15934 : « (…) l’exigence d’un écrit, posée pour défendre les intérêts d’auteurs, n’est qu’une règle de preuve et non de forme, opposable par l’auteur à l’exploitant de l’œuvre » ; Comm. com. électr. 2022, chron. 10, § 2, obs. A.-E. Kahn).

Ainsi, l’établissement d’un écrit n’est pas nécessaire, la preuve de la cession du droit peut être apportée dans les termes des articles 1359 à 1362 du Code civil et la cession peut résulter « de la commune intention des parties » (CA Paris, pôle 5, ch. 1, 27 sept. 2023, n° 21/11106 : Propr. industr. 2024, comm. 12, nos obs. – Cass. 1re civ., 24 oct. 2000, n° 97-19.032 : JurisData n° 2000-006378 ; Bull. civ. I, n° 267 ; JCP G 2000, IV, 2824. – Cass. com., 5 nov. 2002, n° 01-01.926 : JurisData n° 2002-016340 ; Propr. industr. 2003, comm. 23, nos obs.).

Dans son arrêt du 11 janvier 2024, la Cour rappelle qu’au surplus, ces dispositions visent les contrats consentis par l’auteur, personne physique, dans l’exercice de ses droits patrimoniaux à l’exclusion des conventions que peuvent conclure des sociétés commerciales cessionnaires des droits patrimoniaux de l’auteur avec leurs clients sous exploitant.

Elles peuvent également être invoquées par une personne morale, mais dans le seul cas d’une œuvre collective, hypothèse où la personne morale est alors investie à titre originaire de droits d’auteur (v. dans le même sens, CA Paris, pôle 5, ch. 1, 18 nov. 2009, n° 08/08695 : JurisData n° 2009-017226 ; Propr. industr. 2010, comm. 10, P. Greffe).

Avocat à la Cour
Professeur au CEIPI

Articles Connexes

Les conditions de cession des œuvres des arts appliqués L’article 7 de la loi du 7 juillet 2016 Sur la « Liberté de Création »

L’article 7 de la loi du 7 juillet 2016 qui a pour objet d’assurer la liberté de création ainsi conçu :…

Un an de jurisprudence de dessins et modèles – 2013

 1. Œuvres collectives.               A – Salarié - Styliste 1. - L’article L. 113-2, alinéa 2 du Code de la…

Cession implicite des droits de création en exécution des contrats de commande

La facturation de logotypes par un professionnel de la communication emporte cession implicite des droits de création en exécution des…

Retour en haut