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Divulgation

Dessins et modèles

Divulgation

Sont considérées comme n’ayant pas été divulguées au sens de l’article L. 511-6 du CPI des antériorités figurant dans un livre au motif que son auteur ne s’adressait pas au même public que le titulaire du dépôt de modèle.

TGI Paris, 3ème ch., 4ème sect., 15 mars 2018, PIBD 2018, n° 1103, III, p. 672

NOTE

Un grand chef cuisinier revendiquait, au titre de la loi sur les dessins et modèles, une forme de tarte aux pommes et reprochait à la société CARREFOUR de l’avoir contrefaite.

En défense, CARREFOUR invoquait une antériorité qui avait été divulguée dans un livre de recettes publié par un auteur américain diffusé aux Etats-Unis.

Le déposant contestait la pertinence de cette antériorité et demandait au Tribunal de l’écarter « faute de divulgation au sens de l’article L. 511-6 du CPI, s’agissant selon lui d’une amatrice de cuisine inconnue en France dont il ne pouvait raisonnablement avoir connaissance ».

Le Tribunal estime que si le modèle invoqué à titre d’antériorité a bien été divulgué avant la date du dépôt, la société CARREFOUR établissant « avec certitude l’antériorité de la publication de l’ouvrage dont la date figure sur le livre lui-même », cette antériorité doit cependant être écartée car il « s’agit de personnalités différentes qui ne s’adressent pas au même public. Il est ainsi peu probable que [le déposant] ait eu connaissance avant le dépôt de ses modèles, des recettes [de l’auteur de l’ouvrage antérieur]….».

Pour apprécier si le modèle divulgué antérieurement au dépôt a pu ou non être connu des milieux spécialisés, le Tribunal rappelle d’abord que la preuve de la divulgation antérieure doit être rapportée par celui qui l’invoque au travers de documents ayant date certaine, ce qui était le cas en l’espèce.

Le Tribunal relève ensuite qu’à la date du dépôt, l’auteur des articles divulgués antérieurement était certes connu aux Etats-Unis mais dans des secteurs économiques étrangers à la création culinaire de sorte qu’il est « peu probable » que le déposant (et donc les milieux spécialisés) « ait eu connaissance » de ses publications antérieures.

L’on sait depuis l’arrêt Gautzsch (CJUE, 13 fév. 2014, Aff. C479/12) qu’il appartient à celui qui conteste la divulgation d’établir que les faits qui la constituent ne pouvaient, dans la pratique normale des affaires, être raisonnablement connus des milieux spécialisés du secteur concerné.

La présomption de divulgation prévue à l’article L. 511-6 du CPI s’applique, selon le même arrêt, indépendamment de l’endroit où ont eu lieu les faits constitutifs de la divulgation, même s’ils ont eu lieu en dehors des territoires de l’Union et il s’agit là d’une question de fait.

La jurisprudence communautaire a en outre eu l’occasion de préciser que les textes ne prévoient « aucun seuil quantitatif de connaissance effective des faits de divulgation » et qu’en définitive sera considéré comme n’ayant pas été divulgué le modèle antérieur « qui n’a pu être découvert des milieux spécialisés que par hasard » (TUE, 7ème ch., 14 mars 2018, Aff. T651/16, point 56 ; TUE 5ème ch, 21 mai 2015, Aff T 22/13 point 29), c’est-à-dire de manière inattendue, inexplicable.

Le tribunal définit ainsi le critère auquel il convient de se référer pour apprécier si un modèle antérieur a ou non été divulgué au sens de l’article L. 511-6 du CPI, en prenant en compte les éléments factuels suivants, portant notamment sur « la composition des milieux spécialisés, leurs qualifications, coutumes et comportements, l’étendue de leur activité, leur présence aux événement lors desquels les dessins ou modèles sont présentés, les caractéristiques du dessin ou modèle en cause, telle que son interdépendance avec d’autres produits ou secteurs, et les caractéristiques des produits dans lesquels le dessin ou modèle en cause a été intégré, notamment le degré de technicité des produits concernés » (TUE, 14 mars 2018. Aff. T651/16, point 56 et TUE 5ème ch, 21 mai 2015, Aff T 22/13 point 29 précités).

C’est en se fondant sur ce critère que le Tribunal, après avoir relevé que la personne ayant divulgué l’antériorité n’était, à la date du dépôt, qu’une simple « amatrice de cuisine » inconnue dans le secteur concerné, a pu considérer que les articles qu’elle avait fait paraitre avant le dépôt n’avaient pas pu être raisonnablement connus des milieux spécialisés.

La solution est d’autant plus fondée que le modèle en cause, une tarte aux pommes, était relativement peu original. En présence de modèles plus complexes, on peut penser que la jurisprudence sera moins encline à écarter l’antériorité en considérant que ses ressemblances avec le modèle déposé ne peuvent être fortuites.

C’est la seconde fois à notre connaissance qu’une juridiction française écarte une antériorité en considérant que son accessibilité peut être contestée (v. également CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 27 mars 2015, PIBD 2015, n° 1029, III, p. 428).

Avocat à la Cour
Professeur au CEIPI

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