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ORIGINALITE – PHOTOGRAPHIES

Sont dépourvues d’originalité des photographies dont les choix des prises de vues et d’éclairage visent à la présentation des produits qu’elles ont pour objet de valoriser. (CA Paris, pôle 5, ch. 1, 29 janv. 2025, n° 22/19766).

Confirmant sa jurisprudence, la Cour estime que ce type de photographie caractérise au mieux un savoir-faire et des choix techniques.

La notion d’antériorité est, en outre, pertinente pour apprécier leur originalité.

« (…) Les deux photographies en cause sont des photographies de commande destinées à la promotion des vêtements en cachemire commercialisés par la société commanditaire PEPITA, VANILLE & CIE, ce qui conduit à considérer que les choix de Mme BELOUAAR ont été nécessairement contraints quand bien même elle a pu bénéficier d’une certaine latitude, sa mission étant avant tout de photographier des mannequins revêtus de vêtements en cachemire afin de valoriser au mieux ces produits et d’en accroitre l’attractivité commerciale. Mme BELOUAAR ne justifie pas avoir eu le choix, comme elle l’affirme, des deux mannequins, des vêtements qu’ils portent – une robe pour Mme LORPHELIN ; un pull-over « camionneur » pour M. ISMAN – ou des décors – la place de la Concorde à Paris pour la photographie n° 1 et un paysage légèrement flouté laissant apparaitre une maison entourée d’arbres pour la photographie n° 2. La société SUD EVEREST relève à juste raison que la note de droits d’auteur en date du 23 mai 2016 adressée à la société PEPITA, VANILLE & CIE produite par l’appelante mentionne que le « suivi de plateau » est assuré par Charlène BELAHSEN, créatrice de la marque LANA DI CAPRA de la société PEPITA, VANILLE & CIE, et par Jean-Jacques BELAHSEN, dirigeant de cette société, ce dont on peut raisonnablement déduire que les clichés ont été réalisés sous leur supervision. Mme BELOUAAR indique verser au débat, en pièce 8, une vidéo Youtube censée démontrer qu’elle assurait la direction artistique des prises de vue relatives à la photographie n° 1, mais le lien qu’elle fournit dans ses écritures ne permet pas d’accéder à la vidéo qui n’est plus disponible.

 Par ailleurs, la pose des deux mannequins est très conventionnelle – Marine LORPHELIN sortant d’un véhicule, la main droite posée sur le dessus de la portière, le regard baissé ; Benjamin ISMAN, placé au centre de l’image, photographié de face, sa main droite repliée sur le bord du col du pull qu’il porte – et ne traduit pas des mises en scène révélant des choix créatifs au regard des nombreuses photographies fournies par la société intimée de femmes posant près d’une voiture sur laquelle elles posent parfois la main (ex. pièces 9 page 42, 10 page 2, 14 pages 1 et 3, 15 pages 1 et 2… ) ou d’hommes mannequins vus de face revêtus de pull-over pour les besoins de campagnes publicitaires, l’un d’eux ayant pareillement la main repliée sur le bord du col de son pull.

 Les choix revendiqués quant au cadrage et à l’éclairage relèvent quant à eux du savoir-faire de la photographe, mis en œuvre, comme il a été dit, afin de valoriser les produits de la société PEPITA, VANILLE & CIE. Aucune précision n’est donnée quant au « travail de retouche postérieur » qui aurait été apporté aux clichés.

 C’est pourquoi, si Mme BELOUAAR est incontestablement une photographe professionnelle reconnue, ayant réalisé les portraits de plusieurs célébrités (Virginie Effira, Marion Cotillard, Liv Tyler, Maud Fontenoy, Willem Dafoe… ) et bénéficiant d’une certaine notoriété, ainsi qu’en attestent son dossier de présentation et le documentaire la concernant diffusé notamment sur la chaine Stylia, les choix qu’elle a opérés pour la réalisation des deux photographies revendiquées ne suffisent pas à traduire une démarche personnelle et créatrice portant l’ empreinte de sa personnalité.

 L’originalité des deux photographies n’étant pas démontrée, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté Mme BELLOUAR de ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur (…) ».

La question de l’originalité des photographies publicitaires qui ont pour objet la mise en valeur de produits, n’est pas nouvelle.

Selon la jurisprudence, si le choix de la prise de vue ou de l’éclairage obéit à des impératifs techniques justifiés par la nécessaire mise en valeur du produit, l’effort de création est alors absent et la photographie ne saurait bénéficier de la protection de la loi (CA Douai, ch. 1., sect. 2, 30 nov. 2023, n° 22/02443.- CA Paris, 4e ch., 10 sept. 2008, n° 2007/05030. – CA Aix-en-Provence, 2e ch., 20 janv. 2004, n° 2004-234781 ; TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 6 janv 2017 n° 2014/09412. – TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 17 janv 2014 n° 2012/07629).

En l’espèce, la photographe soutenait que les deux photographies qu’elle avait réalisées laisseraient place à une certaine innovation, en matière de cadrage et de mise en scène, et pour tenter de convaincre la Cour de leur originalité, elle avait présenté comme suit leurs caractéristiques :

« – Photographie 1 :

« La (…) photographie mettant en scène Marine Lorphelin sortant d’une voiture ancienne place de la Concorde résulte des choix de la photographe qui a composé un cadre harmonieux, le regard baissé de l’ancienne Miss France ajoutant au charme de l’image de la jeune femme dont le visage est éclairé par le côté, ajoutant à la fascination qu’elle provoque dans un décor à la fois familier et mystérieux. Ainsi, la photographe a d’abord sélectionné une personnalité inattendue, puis un décor et un élément de décoration, un cadre et un éclairage et une véritable mise en scène découlant de ses partis-pris esthétiques et de choix arbitraires qui confèrent à I’image portant l’empreinte de sa personnalité l’originalité la rendant éligible à la protection par le droit d’auteur ».

photographie n° 2 :

« La seconde photographie mettant en scène le mannequin Benjamin Isman portant un pull à col cheminée blanc résulte de la même manière des choix de la photographe qui a composé un cadre serré, la netteté du visage du jeune homme, placé au centre de I’image, contrastant avec le flou du décor qui l’entoure dont on devine la froideur, par un effet de style réussi (…) l’originalité résulte de la combinaison de ces éléments, reflets de la personnalité de la photographe : choix du modèle et de sa pose, du lieu, de I’angle de prise de vues, du cadrage et de l’éclairage lumineux, outre le travail de retouche postérieur ».

La Cour la déboute sèchement de ses demandes estimant qu’aucune fantaisie ne peut être de mise pour ce type de photographies.

Les choix de la photographe « ont nécessairement été contraints » juge la Cour, dans la mesure où les photographies qu’elle revendique ont d’abord vocation à « (…) valoriser au mieux [les] produits [promus] et d’en accroître l’attractivité commerciale ». Ces choix ne font que manifester le « savoir faire » technique et l’habileté de la photographe mais ils ne traduisent pas une démarche propre et une recherche esthétique.

Il est vrai que le photographe dont le travail se borne avant tout à promouvoir des produits, ne dispose pas d’une réelle autonomie créatrice et l’arrêt est sur ce point conforme au principe énoncé par la jurisprudence selon lequel « La nature même de la commande [comporte] des contraintes naturelles auxquelles le photographe professionnel s’est conformé, le privant de toute initiative créatrice » (CA Versailles, 1e ch., 1e sect., 30 mars 2021, n° 19/00672).

La Cour ajoute que la photographe n’avait fait que suivre les directives de son client, les clichés ayant été réalisés sous sa « supervision », ce qui nous semble relever de la question de la titularité des droits et de la nature collective des œuvres (pour des photographies ayant été qualifiées d’œuvres collectives, CA Paris, pôle 5, ch. 1, 23 mai 2017, n° 16/02857. – CA Paris, pôle 5, ch. 1, 25 sept. 2018, n° 16/13692), et non de leur originalité.

La Cour estime, en second lieu, que les mises en scène des deux photographies invoquées sont banales « au regard des nombreuses photographies » déjà connues.

Elle confirme, ce faisant, que la notion d’antériorité n’est pas indifférente en droit d’auteur (dans le même sens, CA Paris, pôle 5, ch. 2, 12 mai 2023 n° 21/16270, est dépourvu d’originalité un selfie consistant à se mettre en scène en se photographiant dans une cage d’ascenseur accompagné d’un chien, un tel cliché ayant déjà été exploité par des influenceurs antérieurement).

C’est ce qu’a encore rappelé en d’excellents termes la Cour d’appel de Nancy selon laquelle :

« (…) Si l’appréciation de la nouveauté d’une création et celle de son originalité procèdent de deux démarches distinctes, il demeure que pour prétendre à l’originalité, une œuvre doit se différencier de celles qui existent dans le même domaine. C’est l’existence de cette différence qui rend compte des choix délibérés et personnels effectués par l’auteur et permet d’apprécier si l’œuvre considérée dans son ensemble, constitue ou non une création propre à celui-ci, éligible à la protection par le droit d’auteur » (CA Nancy, 11 mars 2024, n° 22/01816).

Enfin, l’originalité des photographies aurait pu se révéler postérieurement à la prise de vue, par l’emploi de logiciels dédiés, la modification des couleurs ou encore la suppression d’éléments (CJUE, 1er déc. 2010, aff. C-145/10. – CA Paris, pôle 5, ch. 1, 10 mars 2015, n° 13/009634), mais la Cour relève que sur ce point, le photographe n’a fourni aucune explication.

Avocat à la Cour
Professeur au CEIPI

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