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Cession – Créations destinées à des campagnes publicitaires

Source : CA Paris, pôle 5, ch.1, 22 septembre 2015, R.G. 14/09831, Sté HCP / Sté Akzo Nobel Decorative Paints France 

 

RÉSUMÉ :

La Cour d’appel rappelle que les droits sont valablement cédés dès lors qu’une agence de publicité connaissait l’affectation des œuvres commandées par l’entreprise et savait nécessairement dès l’origine qu’elles avaient une vocation publicitaire.

« … Les dispositions de l’article L.132-31 du Code de la propriété intellectuelle, qui régissent les seuls contrats consentis par l’auteur, personne physique, dans l’exercice de son droit d’exploitation et non ceux que peuvent conclure l’agence de publicité ou le conseil en communication avec l’annonceur auquel elle livre la création à usage publicitaire, n’ont pas vocation à s’appliquer en l’espèce ;

Qu’il convient dès lors de rechercher la commune intention des parties, au regard du droit commun régissant les relations contractuelles en cause, étant rappelé que les parties sont toutes deux des sociétés commerciales et qu’en vertu des dispositions de l’article L. 110-3 du Code de commerce « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tout moyen à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi  ;

… aucun contrat n’a été signé… les seuls documents contractuels existants sont les devis, les commandes et les factures, dont aucun ne restreint la possibilité d’exploiter des œuvres clairement destinées à des campagnes publicitaires bien déterminées ;

… il ressort de ces pièces que [les agences de publicité] ne pouvaient ignorer ni la nature, ni la destination des campagnes publicitaires pour lesquelles au vu de leurs devis, des commandes leur étaient passées, en exécution desquels elles concevaient et réalisaient une œuvre, une maquette, une brochure, un encart de presse, un site internet ou tout autre document, qu’elles livraient à l’annonceur et qu’elles facturaient en précisant sur les factures les diverses tâches de création, de conception et de réalisation effectuées ; qu’il était donc bien dans la commune intention des parties que les œuvres ainsi commandées étaient destinées à être reproduites à des milliers d’exemplaires ;

… Il s’ensuit que [les agences de publicité] connaissaient nécessairement l’affectation des œuvres commandées et n’ont pu ignorer la forme et l’importance de ces diverses campagnes de promotion publicitaire réalisées pendant les 37 années de collaboration ; à aucun moment, pendant cette période d’une particulière durée, aucune [de ces agences de publicité] n’a émis de réserves, ni de protestations sur une quelconque absence de droit d’exploitation des œuvres ainsi livrées à [l’annonceur], ce qu’elles n’auraient pas manqué de faire s’il n’avait pas été dans leur intention de céder les droits sans rémunération supplémentaire ou si ces campagnes publicitaires s’étaient déroulées dans des conditions autres que celles que les commandes laissaient prévoir ;

… Il s’en déduit au regard du droit commun régissant les relations contractuelles en cause, que, dans l’esprit des parties, la facturation des prestations de création incluait la cession par [les agences de publicité] au profit [de l’annonceur] des droits d’exploitation des œuvres réalisées pour le compte de cette dernière ».

 

OBSERVATION

Le litige opposait une agence de publicité qui avait conçu et réalisé pendant plus de 30 ans les campagnes de publicité d’un annonceur auquel elle reprochait, alors qu’il avait cessé ses relations avec elle, d’exploiter ses créations. L’agence soutenait ainsi être demeurée titulaire des droit d’auteur, et prétendait que sa cliente se livrait, à son préjudice à des actes de contrefaçon.

Elle invoquait les dispositions de l’article L. 131-31 du Code de la propriété intellectuelle sur les œuvres de commande pour la publicité. La Cour rappelle que ces dispositions ne peuvent être invoquées que par un auteur personne physique (Cass. civ. Actitudes / Kelois. 8 déc. 2009. Publié au Bulletin), que dans ces conditions il convenait de rechercher la commune intention des parties au regard du droit commun régissant les relations contractuelles et les parties étant commerçantes pouvaient alors justifier de leurs droits par tout moyen.

La Cour procède à l’examen des seuls documents contractuels à savoir les devis, les commandes et les factures « dont aucun ne restreint la possibilité d’exploiter des œuvres clairement destinées à des campagnes publicitaires bien déterminées » et conclut « qu’il était bien dans la commune intention des parties que les œuvres ainsi commandées étaient destinées à être reproduites en des milliers d’exemplaires » la Cour ajoutant que « dans la mesure où l’agence connaissait nécessairement l’affectation des œuvres commandées, n’a pu ignorer la forme et l’importance de ces diverses campagnes de promotion publicitaire ».

 

Il faut alors comprendre que le rôle de l’agence se limitait en l’espèce à la création, qu’elle devait sans doute remettre à l’annonceur des maquettes que l’annonceur exploitait en les éditant : « les œuvres ainsi créées étant alors destinées à être reproduites en des millions d’exemplaires ».

Dans ce cas en effet, il résulte bien de la commune intention des parties que les droits de reproduction et de représentation sont cédés par l’agence à l’annonceur, du moment que l’agence remet à l’annonceur des éléments que ce dernier doit nécessairement utiliser, exploiter. Dans cette hypothèse l’arrêt de la Cour de Paris du 22 septembre 2015 est effectivement conforme à la jurisprudence quel que soit d’ailleurs le domaine concerné (l’écrit n’est pas nécessaire. Cass. civ. 21 mars 2006 PIBD 2007.846.III.123. Gaz. Pal. Mai 2008 et nos obs. P.I. avril 2007. Note Pierre Greffe. – CA Paris 4ème ch. A, 16 fév. 2005 PIBD 2005.809.III.349. – CA Paris 4ème ch. B, 8 juin 1989 Martine Alexandre / Welcome Inédit. – La preuve de la cession est valablement rapportée à l’aide d’attestations Cass. 23 mars 1993 Orfèvrerie Christofle / Ets Mattey ;  Cass. 10 juin 1997 JCP E. 1998 chron. Dessins et modèles 1495. – Cass. civ. 8 déc. 2009 pourvoi 08.18360. – CA Paris Pôle 5, 19 mai 2010 il s’agissait en l’espèce d’une charte graphique et d’un slogan : la Cour a jugé qu’il s’inférait des pièces versées aux débats que dans l’esprit des parties la facturation des prestations de créations incluait la cession des droits d’exploitation de ses créations).

Mais dans l’hypothèse où l’agence conçoit la création et procède à son édition et à sa diffusion dans les supports, la question de la titularité des droits se pose autrement.

Un annonceur ne peut alors se prévaloir de la « commune intention des parties » résultant du fait qu’il avait en charge l’édition et la diffusion de sa campagne.

C’est, dans cette hypothèse, l’agence qui sous son nom exploite la campagne et qui demeure, en principe, sauf clause contraire du contrat liant les parties, titulaire des droits d’auteur sur des créations qui selon la jurisprudence la plus récente répondent, le plus souvent, à la définition des œuvres collectives (notamment TGI Paris 3ème ch. 1ère sect. 7 mai 2015, PIBD 2015.1035.III.649).

Une dernière observation doit être faite.

En tout les cas l’écrit n’est pas nécessaire (Cass. civ. 27 mai 1986 D. 1987 som. p. 154 obs. Jean-Jacques Burst. Ann. Prop. Ind. 1986 123 note Paul Mathély. – Cass. com. 1er déc. 1987 Kirbi et Légo Bull. Civ. IV 259. – Cass. civ. 15 mai 2002 Gaz. Pal. 2002 Note Lolivier. – Cass. civ. 15 fév. 2015 Gaz. Pal. Nov. 2015. – Cass. 21 nov. 2006 PIBD 2007.846.III123. Gaz. Pal. Mai 2008 et nos obs. – CA Paris 4ème ch. A 16 fév. 2005 PIBD 2005.809.III.349) et l’article L. 131-2 al. 1er subordonne la transmission des droits d’auteur à l’exigence d’un écrit pour les seuls contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle.

C’est également en ce sens que s’est à nouveau prononcée la 1ère chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juillet 2014 (Cass 1ère civ 2 juillet 2014 n° 13-24.359) et cette solution ne semble pas être remise en cause par une décision de la Chambre sociale du 7 janvier 2015, dans la mesure où cet arrêt concernait un contrat de production audiovisuelle (Cass. Soc. 7 janv. 2015 n° 13-20.224).

Avocat à la Cour
Professeur au CEIPI

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