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CONTREFAÇON. Répression. Peines. Réparations

I – PEINES

La contrefaçon étant un délit, elle est susceptible d’être sanctionnée par des peines correctionnelles qui seront prononcées par la juridiction pénale dans l’hypothèse où le poursuivant aura saisi cette juridiction.

Les lois des 10 mars 2004 et 29 octobre 2007 ont aggravé les peines. L’exposé des motifs de la loi du 10 mars 2004 souligne que la contrefaçon est l’une de formes de délinquance économique qui se développe le plus rapidement : « Sa progression, tirant parti de la libéralisation des échanges internationaux et de l’efficacité des méthodes modernes de distribution, est en constante accélération. On estime que les produits de contrefaçon représentent environ 5 % du commerce global, soit un chiffre d’affaires de l’ordre de 500 milliards de francs et on évalue le nombre des emplois détruits par ce fléau à 100 000 par an au cours des dix dernières années au sein de la Communauté économique européenne dont 30 000 pour la France » (ces chiffres demeurent encore aujourd’hui sensiblement les mêmes.

Selon le communiqué de presse de l’EUIPO du 5 décembre 2016 « On estime, en France, que plus de 9,4 milliards d’euro sont perdus chaque année à cause de la contrefaçon, avec une perte directe de plus de 6 milliards d’euro dans les secteurs recensés, ce qui représente 6,6 % de leurs ventes. Cela se traduit par une perte de 69.600 emplois, dont 38.500 directement perdus dans ces secteurs. La France est le deuxième pays le plus touché ». Parmi les neuf secteurs affectés sont cités les vêtements, chaussures et accessoires, les articles de bijouterie et de joaillerie, les montres et la maroquinerie ».

1°. – Peines d’amende et d’emprisonnement

Les articles L. 335-2 (CPI, titre III, livre III) et L. 521-10 (CPI, livre V) répriment le délit de contrefaçon de trois ans d’emprisonnement et de 300.000 € d’amende.

En cas de récidive, les peines encourues sont portées au double (art. L. 521-13).

Enfin, lorsque le délit a été commis en bande organisée ou lorsque les faits portent sur des marchandises dangereuses pour la santé, la sécurité de l’homme ou de l’animal, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 500.000 € d’amende (art. L. 335-2 et L. 521-10).

2°. – Circonstances aggravantes

Du cas de récidive, il faut rapprocher une circonstance aggravante qui entraîne l’application des peines de la récidive : c’est celui où le délinquant est une personne ayant travaillé pour la partie lésée. Dans ce cas, le délinquant même primaire est assimilé au récidiviste et les peines encourues sont portées au double (CPI, livre V, art. L. 521-13 et art. L. 335-9).

3°. Peines complémentaires

Articles L. 521-13 et L. 335-9. Ces dispositions prévoient encore une peine accessoire facultative. Les coupables, s’ils sont commerçants, peuvent être privés pendant un temps qui n’excédera pas cinq années du droit d’élection et d’éligibilité aux tribunaux et chambres de commerce ainsi qu’aux conseils de prud’hommes. La privation des droits électoraux et d’éligibilité est une peine au sens légal du mot. Il faut en conclure que le tribunal civil saisi de l’action en réparation du préjudice causé par le délit n’a ni le droit, ni le pouvoir de la prononcer. Ce pouvoir est réservé aux tribunaux correctionnels.

Le tribunal peut ordonner soit à titre définitif, soit à titre temporaire, pour une durée n’excédant pas cinq ans, la fermeture de l’établissement au moyen duquel l’infraction a été commise.

Il est en outre précisé que :

« La fermeture temporaire ne peut entraîner ni rupture ni suspension du contrat de travail, ni aucun préjudice pécuniaire à l’encontre des salariés concernés. Lorsque la fermeture définitive entraine le licenciement du personnel, elle donne lieu, en dehors de l’indemnité de préavis et de l’indemnité de licenciement, aux dommages et intérêts prévus aux articles L. 122-14-4 et L. 122-14-5 du Code du Travail en cas de rupture du contrat de travail. Le non paiement de ces indemnités est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 3.750 euro d’amende » (CPI. art. L. 335-5 et L. 521-10).

4°. – Responsabilité des personnes morales

Les dernières dispositions légales établissent, en matière de dessins et modèles déposés, une responsabilité pénale des personnes morales seulement prévue jusqu’ici dans le domaine du droit d’auteur. Ces dispositions s’appliquent depuis le 1er avril 1994, date d’entrée en vigueur du nouveau Code pénal (art. 15).

Les sanctions encourues de ce chef devraient être particulièrement dissuasives, puisque le taux des amendes applicable aux personnes morales est le quintuple de celui prévu pour les personnes physiques et que ces personnes morales pourront en outre être sanctionnées notamment par des mesures de dissolution ou d’interdiction diverses.

Selon les articles L. 335-8 et L. 521-12 :

« Les personnes morales déclarées pénalement responsables dans les conditions prévues à l’article 121-2 du Code pénal des délits prévus et réprimés au 1er alinéa de l’article L. 521-10 du Code de la propriété intellectuelle ou au chapitre V du livre I encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38 du Code pénal, les peines mentionnées à l’article 131-39 du même code.

« L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 du même code porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice dans laquelle l’infraction a été commise ».

5°. – Affichage. Publication

L’article L. 335-6 4ème al. dispose que la juridiction « peut également ordonner aux frais du condamné l’affichage ou la diffusion du jugement prononçant la condamnation, dans les conditions et sous les peines prévues à l’article 131-35 du Code pénal ».

Une disposition identique figure à l’article L. 521-8. 2ème al :

Sous l’empire du texte initial de la loi du 11 mars 1957, la jurisprudence avait décidé que la publication des jugements de condamnation pour contrefaçon n’était pas une peine mais une mesure de réparation civile (Cass. crim., 23 nov. 1966 : Gaz. Pal. 1966, I, 59. – 16 déc. 1976 : DS 1976).

Une telle solution trouvait son fondement dans le fait que le législateur de 1957 n’avait autorisé le tribunal à ordonner la publication ou l’affichage du jugement de condamnation pour contrefaçon qu’à la condition qu’il en ait été requis par la partie civile.

Depuis la loi du 3 juillet 1985, l’affichage et la publication du jugement peuvent être ordonnés par le tribunal alors même qu’ils n’auraient pas été sollicités par la partie civile. Ce sont ces dispositions qui ont été reprises par les articles précités du Code de la propriété intellectuelle.

Dans ces conditions, des mesures d’affichage et de publication ordonnées par le tribunal ont le caractère de peines complémentaires facultatives, car il est en effet douteux qu’une telle mesure ordonnée d’office par le tribunal puisse avoir un fondement indemnitaire.

II – CONFISCATION

1°. Généralités

La confiscation est réglementée :

a) par les articles L. 521-8 (condamnation civile), L. 521-11 (condamnation pénale personne physique) et L. 521-12 (condamnation pénale personne morale) du Code de la propriété intellectuelle selon lequel :

« En cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée » (art. L. 521-8)

« La juridiction peut ordonner la destruction aux frais du condamné ou la remise à la partie lésée des objets et choses retirés des circuits commerciaux ou confisqués, sans préjudice de tous dommages et intérêts » (art. L. 521-11 – personne physique) et « les personnes morales déclarées pénalement responsables peuvent être condamnées, à leurs frais, à retirer des circuits commerciaux les objets jugés contrefaisants et toute chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction » (art. L. 521-12).

b) par l’article L. 331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle ainsi que par les articles L. 335-6 (personne physique. Dispositions pénales) et L. 335-8 (personne morale. Dispositions pénales) selon lequel :

« En cas de condamnation civile pour contrefaçon…….la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ses droits….et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation ou fabrication soient rappelés des services commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée ».

c) par l’article L. 331-1-4 (4ème al) du Code de la propriété intellectuelle selon lequel :

« La juridiction peut également ordonner la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par la contrefaçon……qui seront remis à la partie lésée ou à ses ayants droit ».

2°. – Caractère facultatif

Ces mesures ont aujourd’hui un caractère facultatif. Dans le cadre des anciennes dispositions du livre V du Code de la propriété intellectuelle (art. L. 521‑3 ancien), la confiscation était obligatoire, ce qui signifiait que le tribunal, qu’il juge pénalement ou civilement, était obligé de la prononcer en toute hypothèse et même en cas d’acquittement.

Il en résultait qu’une personne dont la bonne foi venait d’être reconnue n’en était pas moins exposée à ce que les objets contrefaits saisis chez elle ne soient confisqués, quitte pour elle à exercer un recours en garantie contre son fournisseur.

Que pareille mesure soit de droit au profit de l’auteur et obligatoire à l’égard du tribunal qui ne pouvait éviter de la prononcer, cela tenait simplement au caractère très particulier que présente le délit de contrefaçon ; à son défaut, les objets contrefaits resteraient en possession du contrefacteur.

Sous l’empire du texte initial de la loi du 11 mars 1957, la confiscation était obligatoire à l’instar de celle prévue par la loi du 14 juillet 1909 (titre II du livre V du Code de la propriété intellectuelle). Puis la loi du 3 juillet 1985 avait abandonné une telle solution en conférant à la confiscation un caractère facultatif. Ce sont ces dispositions qui ont été reprises par la loi du 29 octobre 2007.

Un Tribunal peut ainsi prononcer des mesures d’interdiction tout en refusant de faire droit à une demande de destruction estimant que la première mesure est suffisante pour que cessent les actes illicites (TGI Paris 13 mars 2009. PIBD 2009-899.II.1199. – CA Paris Pôle 5 ch. 1, 19 mai 2015. R.G.14/15930)

3°. – Nature juridique

Au sujet de la confiscation, une controverse s’était élevée relative à la nature juridique de cette mesure. La confiscation constituait-t-elle une peine ou une réparation civile ? L’intérêt de la solution est d’importance car de la réponse à cette question dépendent les réponses à deux autres questions : la confiscation pouvait-elle être prononcée par le tribunal correctionnel en cas d’acquittement du prévenu et pouvait-elle être prononcée par les tribunaux civils ?

Après s’être longtemps prononcée en faveur du caractère pénal de la confiscation et en avoir déduit qu’elle ne pouvait être prononcée par une juridiction civile ni en cas d’acquittement (Cass. crim., 29 déc. 1882 : Ann. propr. ind. 1884, 359. – 23 juin 1893 : Ann. propr. ind. 1893, 329. – 24 déc. 1896 : Ann. propr. ind. 1898, 37) la jurisprudence, depuis un arrêt de la chambre civile du 8 février 1910 s’était prononcée en faveur du caractère de réparation et admettait qu’elle pouvait être décidée même par une juridiction civile et en cas d’acquittement (Cass. civ., 8 févr. 1910 : Gaz. Pal. 1910, 1, 225 ; DP 1914, 1, 245 ; Gaz. trib. 19 févr. 1910 et rapp. Rau. – T. civ. Seine, 11 mars 1922 : Ann. propr. ind. 1923, 89. – Caen, 20 mai 1926 : Ann. propr. ind. 1927, 146. – T. com. Seine, 18 juin 1934 : Gaz. Pal. 1934, 2, 176).

Jugé en ce sens « que la remise des recettes ou parts de recettes confisquées constitue une réparation civile du dommage subi par la victime de la contrefaçon ; en effet les tribunaux civils doivent en prononcer la confiscation et en ordonner la remise ; il ne peut donc plus être soutenu que la confiscation implique une condamnation pénale ; le texte ne déroge pas à la règle de droit commun en matière de responsabilité délictuelle selon laquelle le préjudice doit être intégralement réparé ; le législateur n’a donc pas attribué à la remise de la confiscation le caractère d’une indemnité forfaitaire » (CA Paris, 26 avr. 1975 : PIBD 1975, III, 322. – V. encore Cass. ch. mixte, 5 nov. 1976 : Bull. civ. ch. mixte, no 4. A. Lucas et H. J. Lucas. Traité de la Propriété Littéraire et Artistique. 2ème éd. Litec 2001. n° 796).

Cette jurisprudence est aujourd’hui confirmée par les dispositions de la loi du 20 octobre 2007 rappelée ci-dessus (not TGI Paris. 14 sept. 2010.PIBD 2011.934.III.156)

4°. – Étendue

La confiscation des objets contrefaisants et du matériel ayant servi à la contrefaçon d’une part et celle des recettes d’autre part n’obéissent pas exactement aux mêmes règles.

a- Objets contrefaisants. Matériel et instruments de la contrefaçon

Cette question soulève une double observation. Tout d’abord, en remettant à l’auteur le matériel ayant servi à la contrefaçon, ainsi que les objets contrefaisants, on lui assurera déjà une réparation susceptible d’être complétée, si le préjudice est alors insuffisamment réparé.

D’autre part, la confiscation aura pour effet de retirer de la circulation les objets contrefaisants, ou le matériel employé, et cela pour mettre fin à la contrefaçon qui ne saurait se poursuivre.

Mais il demeurera indispensable d’identifier avec une parfaite précision ce qu’il convient de confisquer, sinon comment le tribunal pourrait-il statuer s’il ne disposait pas d’éléments lui permettant de dire sur quoi la confiscation s’étendra ? Supposons un instant qu’un jugement ait estimé, sans s’expliquer davantage, que tous les produits de la contrefaçon seront confisqués ; une telle décision ne pourrait recevoir d’exécution face à l’impossibilité de charger les différents auxiliaires de justice (huissiers, commissaires-priseurs) de décider par eux-mêmes que telle ou telle fabrication est contrefaisante, ce qui équivaudrait à les substituer au tribunal. On doit admettre en conséquence que seule la mesure de saisie, réglementée par le Code de la propriété intellectuelle, peut fournir le moyen de dénombrer les objets contrefaisants et de les identifier.

Cela ne signifie en aucune manière que tous les objets saisis seront ensuite indistinctement confisqués, mais seulement qu’ils seront immobilisés ; le saisi n’en aura pas moins la faculté de discussion, afin d’épargner si possible la confiscation à certains d’entre eux, le tribunal décidant de l’étendue de la confiscation. Ainsi, s’agissant de meubles installés dans un hôtel, leur confiscation en vue de leur destruction n’a pas été ordonnée au motif que cette mesure n’était pas justifiée, les meubles incriminés n’étant pas offerts à la vente ayant été acquis depuis plusieurs années (C.A. Paris 5 oct. 2001. PIBD 2002. 737.III. 117).

De même, il n’a pas été fait droit à une demande tendant à démonter des abribus contrefaisants qui étaient déjà installés. En effet, le matériel contrefaisant ayant été installé dans le cadre de l’exécution d’un marché public, il n’est pas établi que les abribus et bancs litigieux soient restés la propriété du contrefacteur. Dès lors, le Tribunal ne saurait ordonner leur destruction s’agissant d’une mesure faisant grief à un tiers qui n’est pas dans la cause (TGI Paris. 17 mars 2010.PIBD 2010.922.III.305).

b- Rappel des modèles contrefaisants des circuits commerciaux

L’article L. 331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose notamment :

« qu’en cas de condamnation civile pour contrefaçon…..la juridiction peut ordonner à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits, et les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur réalisation ou fabrication soient rappelés des services commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée ».

Selon l’article L. 521-8 « en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner à la demande de la partie lésée que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des services commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.

L’article L. 521-11 2ème al. (L. 521-12 4ème al. L. 335-6 et L. 335-8) précise que « la juridiction peut ordonner la destruction aux frais du condamné ou la remise à la partie lésée les objets ou choses retirés des circuits commerciaux ou confisqués sans préjudice de tous dommages et intérêts ».

On remarquera qu’une telle confiscation est facultative et en outre ne peut être prononcée qu’en cas de condamnation civile ou pénale.

Ces articles comportent une disposition complètement nouvelle, selon laquelle le Tribunal peut ordonner que les objets contrefaisants « soient rappelés des circuits commerciaux ». Il peut y avoir là de sérieuses difficultés, les objets se trouvant dans les circuits commerciaux appartiennent à ceux auxquelles ils ont été vendus, et encore faudra-t-il pouvoir les identifier.

Les Tribunaux ne pourront ordonner cette mesure qu’à la condition que les produits objet de la contrefaçon, aient été identifiés. C’est en ce sens que se prononçait la jurisprudence.

Jurisprudence

Dans un litige qui portait sur la contrefaçon d’un modèle de blousons, la Cour de cassation est allée encore plus loin pour affirmer cette nécessité d’identification (Cass. crim., 4 mars 1975 : Bull. crim., no 70). Un arrêt de la cour d’appel de Paris avait ordonné que 148 blousons – cependant saisis, suivant un procès-verbal que visait ledit arrêt – seraient « restitués » à la partie civile. Cet arrêt a été cassé, la Cour de cassation s’étant basée sur le texte de l’article 74 de la loi du 11 mars 1957 aux termes duquel seuls les objets « ayant donné lieu à confiscation seront remis à l’auteur… », et sur la constatation que la cour d’appel n’avait pas prononcé la confiscation et que « des objets qui n’étaient donc pas la propriété de la partie civile ne pouvaient lui être remis… ».

Il était en quelque sorte reproché à la cour d’appel d’avoir employé le terme «  restitution » au lieu de celui de «  confiscation ».

Ainsi, la confiscation n’atteint que l’instrument dont l’emploi amène inévitablement à la contrefaçon. Elle n’atteint pas les outils ou instruments qui, ayant pu servir à aider le contrefacteur dans son œuvre, peuvent cependant lui servir à tout autre usage parfaitement licite. (J. Schmidt-Szalewski et J.L. Pierre. Droit de la Propriété Industrielle. 3ème éd. Litec. 2003 n° 389. – F.Pollaud-Dulian. Le Droit d’Auteur. Economica. 2005. n° 1321).

Il est assez rare que les Tribunaux confisquent les instruments ayant permis la contrefaçon. Jugé cependant que des sociétés exploitant des jeux vidéo représentant des modèles de véhicule automobile doivent, afin que la contrefaçon cesse, modifier leur logiciel pour supprimer toute représentation des véhicules contrefaits (TGI Paris, 25 nov. 2010.PIBD 2011.936.III-230)

c. Recettes

Ce problème concerne la détermination du préjudice et l’évaluation des dommages et intérêts ; aussi le traitons-nous ci-après (dommages et intérêts).

5°. Contrefaçon partielle

Que faut-il décider quant à la confiscation des objets contrefaits, en cas de contrefaçon partielle ? Faut-il confisquer l’objet tout entier, ou seulement la partie contrefaite ? La doctrine et la jurisprudence admettent que si la partie contrefaite peut être aisément détachée de l’ensemble, c’est elle seule qui doit être confisquée. Il en sera ainsi, par exemple, pour deux statuettes se faisant pendant dont l’une seule est une contrefaçon, ou encore lorsque la contrefaçon porte sur des ornements détachables d’une œuvre par ailleurs licite.

Dans le cas où la séparation est impossible et où la partie contrefaite fait corps avec l’ensemble, le contrefacteur pourra, dans ce cas, subir un préjudice important.

Si le modèle déposé ne porte que sur la douille, il ressort des énonciations de l’arrêt que la société fabriquait et mettait en vente des lampes équipées des culots et des douilles contrefaisantes ; en décidant que la réunion de ces éléments formait « un tout commercial indivisible » au point de vue du mode d’exploitation, la cour d’appel n’a fait qu’user de son pouvoir souverain d’appréciation (Cass. civ., 16 janv. 1957 : Ann. propr. ind. 1957, 315).

La confiscation (bacs de culture) doit être limitée à l’extérieur des bacs, à l’exclusion du dispositif intérieur de grille et de capillarité décrit dans un brevet protégeant certaines particularités du bac litigieux (CA Aix-en-Provence, 18 déc. 1973 : PIBD 1974, III, 246).

6°. – Remise des objets confisqués. Destruction

Les objets confisqués doivent être remis à la partie victime de la contrefaçon à titre de supplément de dommages et intérêts. C’est ce qui résulte des articles L. 331-1-4, L. 335-6, L. 335-8 et L.521-8, L. 521-11 et L. 521-12 du Code de la propriété intellectuelle.

Lorsqu’il s’agit d’œuvres d’architecture, il serait excessif d’en ordonner la confiscation, ainsi que celle du terrain, dont il serait évidemment difficile de les séparer sous prétexte qu’une construction, par exemple, serait la reproduction d’une œuvre précédente. Les juges omettent, dans ce cas, d’ordonner la confiscation ou la démolition d’immeubles contrefaits. C’est ainsi qu’un arrêt de la Cour de Paris a prescrit que le nom du contrefacteur serait simplement gratté et effacé (CA Paris, 8 nov. 1923 : Dr. auteur 1924, p. 24), concernant un monument funéraire (V. Trib. civ. Lyon, 11 juill. 1923 : Ann. propr. ind. 1923, 364).

Plus récemment, la Cour d’appel de Paris a refusé d’accueillir la demande de destruction de terrains de sport au motif que les collectivités territoriales ou les organismes propriétaires des terrains litigieux n’avaient pas été appelés dans la cause (CA Paris Pole 5 Ch. 2, 9 sept. 2011, Sté AGORESPACE / Sté TRANSALP, inédit).

Cette mesure n’était pas prévue par les textes anciens, mais était prononcée par les Tribunaux. C’est ainsi qu’il avait été jugé que c’était à tort qu’une société reprochait à un arrêt d’avoir ordonné outre la confiscation des vêtements contrefaisants, leur destruction en présence d’un huissier alors que selon les articles 428 et 429 du Code pénal, la confiscation a pour seul objet de réparer le préjudice subi par l’auteur victime de la contrefaçon. En effet c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a estimé que la destruction des vêtements en assurant leur élimination définitive du marché constituait la réparation la plus adéquate (Cass. 1re civ., 19 nov. 1991, Sté Adec c/ Sté Agnès B., inédit).

Les nouvelles dispositions de la loi du 29 octobre 2007 prévoient que le Tribunal peut ordonner la destruction des produits contrefaisants. Un Tribunal a ainsi pu ordonner, sous le contrôle d’un huissier désigné à cet effet, aux frais de la défenderesse et sous astreinte, la destruction de la totalité des stocks de lunettes contrefaisants (TGI Paris. 10 déc. 2010.PIBD.938.III.293)

III -DOMMAGES ET INTERETS

A – Régles applicables

L’indemnisation de la victime d’une contrefaçon d’un dessin ou d’un modèle obéissait, depuis de nombreuses années, à un régime juridique unifié ne faisant aucune distinction selon que la protection était accordée au titre du livre V du Code de la propriété intellectuelle ou au titre du livre I.

Les modalités de calcul des indemnités allouées dans le cadre de l’action en contrefaçon ont fait l’objet d’une harmonisation entre les différents régimes de propriété intellectuelle avec l’adoption de la loi du 29 octobre 2007, cette dernière ayant transposé la directive du 29 avril 2004, et de la loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon.

Selon les articles L 331-1-3 et L. 521-7 du CPI « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Avant la Loi du 29 octobre 2007, le principe fondamental sur lequel reposait le régime juridique de l’indemnisation de la victime d’une contrefaçon d’un dessin ou d’un modèle industriel était celui du droit commun de la responsabilité : tout le préjudice devait être réparé par l’indemnité de contrefaçon, mais celle-ci ne devait en aucun cas être une source de profit pour la victime de la contrefaçon (Cass. comm. 13 janv. 1971. D. 1971. 147‑Cass. 1ère ch. civ. 10 mai 1995. D. 1996. Somm. 286. Obs. Jean-Jacques Burst – CA Paris 7 juin 2006. PIBD 2006. III. 629 – CA Paris 19 janv. 2007. PIBD 2007.III. 227)°.

Pour l’application des nouvelles dispositions, il convient d’abord de se référer à la directive du 29 avril 2004 qui précise quelles ont été les intentions du législateur européen, selon laquelle l’évaluation des dommages et intérêts doit être objective.

Au paragraphe 26 de son introduction, il est précisé :

« en vue de réparer le préjudice subi du fait d’une atteinte commise par un contrevenant qui s’est livré à une activité portant une telle atteinte en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir, le montant des dommages et intérêts octroyés au titulaire du droit devrait prendre en considération tous les aspects appropriés tels que le manque à gagner subi par le titulaire du droit ou les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, le cas échéant, tout préjudice moral causé au titulaire du droit. Le montant des dommages et intérêts pourrait également être calculé, par exemple dans les cas où il est difficile de déterminer le montant du préjudice véritablement subi, à partir d’éléments tels que les redevances ou les droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question. Le but est non pas d’introduire une obligation de prévoir des dommages et intérêts punitifs, mais de permettre un dédommagement fondé sur une base objective tout en tenant compte des frais encourus par le titulaire du droit tels que les frais de recherche et d’identification ».    

L’article 13 (dommages-intérêts) de la directive est ainsi rédigé :

« 1. les Etats membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir, de verser au titulaire du droit des dommages et intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte.

Lorsqu’elles fixent les dommages et intérêts, les autorités judiciaires :

a). prennent en considération tous les aspects appropriés telles que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte ;

ou

b). à titre d’alternative, peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages et intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question ».

Ces textes invitent ainsi le magistrat à « prendre en considération » un certain nombre de paramètres, énumérés non limitativement, qui lui permettront d’estimer les dommages et intérêts, parmi lesquels figurent « les bénéfices réalisés par le contrefacteur », la directive rappelant que l’évaluation doit se faire objectivement d’une part, et d’autre part, que les dommages et intérêts doivent correspondre au préjudice réellement subi du fait de la contrefaçon.

Aux éléments auxquels se référait le plus souvent la jurisprudence, s’ajoutent « les bénéfices réalisés par le contrefacteur » et d’une manière plus générale encore « toutes les conséquences économiques négatives » qui résulteront de la contrefaçon et pourront ainsi prises en considération.

Ainsi que le souligne le Rapporteur de la loi (Philippe Gosselin. Assemblée Nationale. Rapport du 26 septembre 2007) :

« Par application du droit commun, les Juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation dans l’évaluation du préjudice, la jurisprudence de la Cour de cassation soulignant qu’ils « ne sont pas tenus de préciser les divers éléments ayant servi à déterminer le montant des dommages et intérêts qu’ils allouent ». Les victimes ayant le plus souvent de grandes difficultés à apporter la preuve de la réalité de leur préjudice, il n’appartient pas au Juge de combler les carences de leur dossier et, inévitablement, la motivation de ses décisions reste lacunaire. En insistant sur les critères économiques du préjudice (à savoir les conséquences économiques négatives, parmi lesquelles le manque à gagner, et les bénéfices injustement réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits), l’article 13 de la directive 2004/48/CE et dans son prolongement, l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, qui en est la transposition pour les droits de propriété littéraire et artistique, permettront la présentation de demandes plus argumentées. Il convient tout de même de préciser que ces aspects économiques sont d’ores et déjà appréciés par le Juge, qui ne se limite d’ailleurs pas à la chute des ventes du requérant, dès lors qu’elle est imputable à la contrefaçon ou au chiffre d’affaires effectif du contrefacteur, puisqu’il prend également en considération les tarifs habituellement pratiqués par la profession ou la notoriété de la victime ».

Jurisprudence :

Il est donc d’abord tenu compte des affaires manquées par la partie lésée, puis des bénéfices réalisés par le contrefacteur ou pour reprendre l’expression de la directive, des bénéfices injustement réalisés par le contrevenant, et enfin du préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l’atteinte.

Par arrêt du 16 décembre 2014 la Cour de cassation (Cass. Com. 16 sept. 2014. PIBD 2014.1020.III.94) a estimé que c’était « à bon droit qu’une Cour ayant retenu qu’une société avait porté atteinte aux droits d’auteur dont elle était titulaire et à ses droits sur les modèles déposés, avait procédé à une évaluation distincte de chacun des préjudices causés à cette société par les actes de contrefaçon ». Cette décision qui revenait à punir deux fois les mêmes faits de contrefaçon et que la doctrine n’a pas approuvé (notamment note Galoux D. 2015. n° 29) n’a pas fait jurisprudence.

Il est clair, en tout cas, que le titulaire des droits peut se prévaloir à la fois de son manque à gagner, des bénéfices réalisés par le contrefacteur et enfin de son préjudice moral. Cependant la 1ère section de la 3ème chambre du Tribunal de Paris a jugé qu’une société ne pouvait prétendre subir un double préjudice qui serait constitué d’une part de la perte de ventes et d’autre part des bénéfices réalisés par le contrefacteur. Selon le Tribunal « soit est réparé le fait qu’elle a été privée des ventes et donc de sa marge, soit est réparé le préjudice subi par l’accaparement des bénéfices réalisés par le contrefacteur » (TGI Paris 3ème ch. 1ère sect. 14 janv. 2016 PIBD 2016.1051.III.485 – TGI Paris 3ème ch. 1ère sect. 29 sept. 2016 PIBD 2016.1061.III.931).

Mais la 3ème Chambre du Tribunal, 2ème section, dans un jugement du 29 janvier 2016 (BLI DBP / Optical Center, décision confirmée par la Cour de Paris Pôle 5 ch. 1, 4 nov. 2016, R.G. 16/03711) rappelle que « le législateur a entendu rendre possible un cumul entre les conséquences économiques négatives et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, de sorte que la société défenderesse ne peut exciper de l’impossibilité de cumuler ces deux postes de préjudice » (dans le même sens, CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 19 janv. 2016, Propr.industr. avril 2016, p. 50, nos obs.).

B- Le manque à gagner de la partie lésée

Les affaires manquées sont celles que le titulaire du dessin ou du modèle aurait pu réaliser à la place du contrefacteur. La détermination des affaires manquées peut alors amener à tenir compte d’un certain nombre de facteurs /

1) Le degré d’originalité du dessin ou du modèle.

La jurisprudence tient aussi compte, pour réduire la masse contrefaisante, du caractère plus ou moins original du dessin ou du modèle ou si l’on veut de son caractère distinctif. Le manque à gagner peut être pondéré en tenant compte de la relative banalité du modèle (CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 23 fév. 2016 Sté Leclerc / Tecni Shoe. Inédit).

En effet, lorsque le modèle contrefait n’est pas d’une grande originalité par rapport aux modèles concurrents, on peut penser que le choix de la clientèle n’est pas influencé uniquement par le modèle. Et si le marché comporte plusieurs concurrents qui commercialisent des modèles voisins, puisque le modèle contrefait est d’une distinctivité peu marquée, il est raisonnable de décider que rien ne prouve que tous les modèles vendus par le contrefacteur l’auraient été par le titulaire du dessin ou du modèle contrefait. D’autres facteurs, étrangers au modèle, ont alors pu guider le choix du client.

C’est en ce sens que se prononçait la jurisprudence antérieure aux lois du 29 octobre 2016 et 11 mars 2014 (CA Paris 23 juin 1988 Ann. Propr. industr. 1989, 180.– CA Paris 13 juin 1991 Ann. Propr. industr.1991 p. 94 note P.M. – CA Paris 4è ch. 8 janv. 1997 PIBD 1997.630.III.219). Jugé que s’agissant d’un instrument professionnel l’apparence du modèle a nécessairement un rôle marginal dans la décision d’achat (TGI Paris 3è ch. 5 fév. 2010 PIBD 2010.918.III.330).

Jugé de même que si les ventes en France des bijoux contrefaisants « ont généré un manque à gagner, il n’est pas certain que toutes les personnes ayant acquis en France le bijou contrefaisant auraient acheté le pendentif original treize fois plus cher » (CA Paris Pôle 5, ch. 1, 15 sept. 2015, Nereides Distribution / Promod. Inédit).

Dans le même sens, s’agissant de vêtements ornés d’un motif de dentelle contrefaisant, la Cour d’appel de Paris a jugé que les circonstances de l’espèce exigeait qu’une fraction limitée de la masse contrefaisante soit seulement prise en compte au titre des ventes perdues au motif que « les clients qui acquièrent des vêtements en dentelle dans la boutique H & M n’auraient pas, pour la plupart, acheté des vêtements confectionnés avec des dentelles de la demanderesse en contrefaçon, de sorte que les ventes réalisés par H & M ne correspondent pas exactement au gain manqué (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 19 janv. 2016 précité).

Et dans un arrêt du 4 novembre 2016 la Cour de Paris a par contre jugé qu’il n’y a pas lieu de limiter le préjudice de la société intimée « aux seules pièces vendues, mais qu’il convenait de prendre en considération la totalité des pièces importées » (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 4 nov. 2016 Optical Center / BLI DBP. R.G. 16/03711).

2) L’état du marché.

La jurisprudence antérieure à la loi du 29 octobre 2007 prenait en compte l’état du marché.

La Cour d’appel de Paris a décidé que : « c’est à bon droit que les premiers juges ont pratiqué un abattement sur la somme… réclamée pour préjudice commercial en estimant qu’il y avait lieu de prendre en compte l’aléa qui affecte la réalisation d’un vêtement ; en effet, il n’était nullement certain que le titulaire du modèle, s’il n’avait pas été victime des actes répréhensibles, aurait vendu les blousons qu’il se proposait de commercialiser, lesdits blousons, contrairement à ses affirmations, étant démodables comme tout autre produit d’habillement » (CA Paris, 21 mars 1984 : PIBD 1984, III, 204 ; JCP E 1986, no 15256, préc.).

C’est ainsi qu’il a été jugé qu’en l’espèce il y a lieu d’admettre que les articles incriminés n’ont pas dans leur totalité été vendus par Tournus au détriment d’un seul concurrent, c’est-à-dire Seb ; il est donc justifié d’affecter d’un abattement les quantités dénombrées par l’expert, étant cependant équitable pour les produits non pris en compte dans les pertes de ventes de Seb de reconnaître à celle-ci le droit à une redevance dans la mesure où, quoique prétendent les appelants, la contrefaçon et le parasitisme ont permis à Tournus d’économiser des frais d’études et de recherches (CA Paris, 4e ch., sect. B, 15 févr. 1990. Ann. propr. ind. 1990, 92 ; PIBD 1990, III, 501, no 483).

De même que pour affirmer que toutes les ventes contrefaisantes se seraient reportées sur le modèle protégé, il ne suffit pas que l’originalité du modèle soit évidente et que la contrefaçon soit une copie quasi servile ; en effet, le caractère fortement concurrentiel du marché constitue un élément d’appréciation important ; en dehors de la contrefaçon et d’autres articles jugés contrefaisants dans une autre instance, les catalogues que la cour trouve à nouveau parmi les pièces mises aux débats permettent de réaffirmer qu’un grand nombre de modèles comparables non contrefaisants étaient à l’époque de la contrefaçon sur le marché et que bien que leur ligne fût sensiblement différente de celle du modèle protégé, Grosfillex rencontrait donc une concurrence non négligeable et qu’il n’est pas certain que tous les acheteurs du modèle contrefaisant se seraient nécessairement reportés sur le modèle protégé (CA Paris, 4e ch. B, 12 sept. 1991, Sté Grosfillex c/ Sté Sarpe et Picnic, inédit).

Jugé encore que le préjudice est relativement modéré, alors surtout que la présence actuelle sur le marché d’un grand nombre de modèles de douchettes présentent de fortes similitudes qui explique à elle seule la banalisation et une certaine dilution de la valeur patrimoniale du modèle contrefait (CA Paris. 9 sept. 2009. PIBD 2009.905.III.1447).

Les affaires manquées étant dénombrées, il fallait alors évaluer le bénéfice perdu par l’exploitant du brevet. Et ce calcul s’opère en tenant compte de la marge bénéficiaire que réalise l’exploitant lui-même.

Cela étant, faut-il tenir compte de la marge brute ou de la marge nette de l’exploitant ? (J. Azema et J.C. Galloux – Précis Dalloz. 7è éd. 2012. n° 1820).

La jurisprudence opte soit pour la marge brute (T. com. Paris, 29 oct. 1986 : PIBD 1987, III, 40. – CA Paris, 25 juin 1979 : Ann. propr. ind. 1981, 216), soit pour la marge nette (CA Paris, 17 déc. 1980 : Ann. propr. ind. 1981, 189).

En recherchant dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation pour évaluer le préjudice causé à la société titulaire des droits quel aurait été le chiffre d’affaires qu’aurait dû obtenir cette société, puis en appliquant au résultat obtenu un pourcentage représentant la marge brute que la société pouvait normalement réaliser, la cour d’appel a déterminé le seul préjudice subi par ladite société et a légalement justifié sa décision (Cass. com., 24 mars 1992, Grosfillex c/ Sté Pierre Vandel-France).

Dans son arrêt du 25 juin 1979, précité, la cour d’appel de Paris a jugé que pour apprécier le bénéfice perdu, il faut tenir compte du nombre d’articles vendus et du bénéfice moyen brut réalisé par le créateur, en tenant compte de l’augmentation des charges d’exploitation qui aurait été entraînée par la vente supplémentaire des articles contrefaits vendus. Jugé encore que « le gain manqué ou la perte des parts de marché est constitué des bénéfices perdus sur les ventes manquées, ces dernières étant celles que le titulaire du dessin ou du modèle aurait pu réaliser à la place du contrefacteur (T.G.I Paris. 11 sept 2001. PIBD 2002. 737. III. 124. – C.A Paris 21 mars 2001. Ann. Prop. Ind. 2001. 269).

3) En cas de « tout commercial », selon l’expression utilisée, il sera également tenu compte des accessoires qui accompagnent nécessairement le produit.

C’est ainsi qu’il a été jugé que la masse contrefaisante à prendre en considération pour le calcul du préjudice lié à la contrefaçon du modèle de pièce à main dentaire inclut les accessoires et pièces de rechanges même non couverts par le modèle dès lors qu’ils sont destinés aux produits contrefaisants et que leur vente est nécessairement déclenchée par celle de ces produits. Il convient aussi d’y intégrer la poudre prophylactique dont l’usage exclusif est recommandé par la notice d’utilisation (TGI Paris 3ème Ch. 2ème Sec. 5 fév. 2010.PIBD 2010.918.III. 330)

4) Le cas du titulaire des droits qui n’exploite pas son modèle.

En application du deuxième alinéa des articles L. 331-1-3 et L. 521-7 du Code de la propriété intellectuelle, le titulaire des droits qui n’exploite pas son modèle pourra obtenir du tribunal, à titre d’alternative « et sur sa demande » une somme forfaitaire qui ne pourrait être inférieure au montant des redevances ou droits qui lui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte lui avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit.

Il est constant qu’une société n’exploitant pas directement le modèle ne peut prétendre dès lors qu’à une redevance indemnitaire (TGI Paris 5 fév. 2010.PIBD 2010.918.III.330 ; voir également CA Paris 3 juillet 2009. PIBD 2009.905.III.1453)

5) Les ventes réalisées à partir du territoire français doivent être prises en considération.

Le juge français est compétent pour indemniser le préjudice subi par une société titulaire des droits litigieux même si la quasi-totalité des ventes incriminées ont eu lieu en dehors de France, dès lors que le dommage résulte de ventes réalisées à partir du territoire français et que le préjudice en résultant a été subi en France (C.A. Paris 4ème Ch. 15 mars 2000. PIBD 2000. 701. III. 357).

S’agissant d’un modèle de montre de marque notoirement connue, commercialisée tant en France qu’à l’étranger, la Cour de Paris a jugé que « la société était en droit de solliciter la réparation du préjudice consécutif à la commercialisation du modèle contrefaisant à l’étranger, notamment en Angleterre et à Hong Kong, le préjudice résultant de l’atteinte à son modèle étant subi en France » (CA Paris. 4ème Ch. A. 27 juin 2001. Sté Géothy et Folli-follie c/Sté Chaumet International. Inédit)

Il y a lieu de constater que si les relevés de clients des sociétés défenderesses, certifiés par un cabinet de gestion et de comptabilité, font apparaître non pas huit ventes au profit de Pays-Bas mais neuf, les factures correspondantes ne sont pas produites par les défenderesses qui ont, en tout état de cause, réalisé ces ventes depuis le territoire français (TGI Paris 5 fév. 2010.PIBD 2010.918.III.330).

C – Les bénéfices réalisés par le contrefacteur

Les articles L. 521-7 et L. 331-1-3 du CPI visent, outre les affaires manquées, « les bénéfices réalisés par le contrefacteur » sans d’ailleurs reprendre l’expression « les bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur » qui figure dans la directive (J. Azema et J.C. Galloux. Precis. Dalloz 7è ed. 2012. N° 1820 ; F. Pollaud-Dulian. La propriété industrielle. Ed. Economica 2011 n° 1195).

Certains ont pu y voir l’introduction en droit français d’une sanction punitive. Les bénéfices réalisés par le contrefacteur viendraient s’ajouter en quelque sorte aux bénéfices perdus par le demandeur.

La jurisprudence antérieure à 2007 fondée sur l’article 1382 du Code civil prenait du reste déjà en compte cet élément. Ainsi, si le chiffre d’affaires réalisé par le contrefacteur et son bénéfice étaient importants, l’indemnité allouée au titulaire du droit l’était également, la jurisprudence estimant que les bénéfices réalisés par le contrefacteur démontraient que le modèle auquel il avait été porté atteinte avait une valeur économique.

Le juge doit tenir compte des bénéfices réalisés par le contrefacteur.

Jugé en ce sens que la société Carré Blanc Distribution est en droit d’être indemnisée au titre du gain manqué, lequel doit être évalué sur la base de la masse contrefaisante multipliée par la marge du titulaire du droit. Mais la Cour tient compte du bénéfice effectivement réalisé par les sociétés Carrefour grâce à la distribution massive et à bas coût des articles contrefaisants et augmente en conséquence le montant de l’indemnité (CA Versailles – 10 mars 2010. PIBD 2010. 916. III.253 ; C. Cass. ch. com. 18 nov. 2008, PIBD 2009,889.III.809).

La loi du 11 mars 2014 a introduit dans les articles L. 331-1-3 et L. 521-7 du Code de la propriété intellectuelle l’adverbe « distinctement », la juridiction devant désormais prendre en considération « distinctement » toutes « les conséquences économiques négatives » de la contrefaçon pour évaluer le préjudice.

S’il est donc certain que le juge doit procéder à une évaluation distincte des différents chefs de préjudice (manque à gagner, préjudice moral de la victime et bénéfices réalisés par le contrefacteur), cela signifie-t-il pour autant qu’il serait désormais possible d’opérer entre eux un cumul ?

Le législateur ayant émis le souhait de renforcer les dédommagements civils accordés aux victimes de contrefaçon, la Cour d’appel de Paris a estimé à plusieurs reprises que le nouveau texte rendait possible un tel cumul des différents postes de préjudice (CA Paris Pôle 5, ch. 2, 4 nov. 2016 n° 16/03711. – CA Paris 19 janv. 2016 n° 14/10676 précités).

Tel n’est pas l’avis de la 3ème ch. 1ère Sect. du Tribunal de grande instance de Paris qui considère qu’il n’est pas possible de prétendre « subir un double préjudice qui serait constitué d’une part de la perte de vente et d’autre part des bénéfices réalisés par le contrefacteur, ces éléments devant, en application des textes susvisés, être pris en compte par le tribunal distinctement et non cumulativement afin de réparer au mieux et de façon proportionnée le préjudice subi » (TGI Paris, 3ème ch. 1ère sect., 29 sept. 2016, PIBD 2016.1061.III.931).

Seule une décision de la haute juridiction permettra de mettre un terme à ces incertitudes.

D – Préjudice moral

Les articles L. 331-1-3 et L. 521-7 disposent que pour fixer les dommages et intérêts la juridiction prend en considération « distinctement » le préjudice moral qui a été causé au créateur. Selon l’article 13 de la Directive, il s’agit « des éléments autres que les facteurs économiques ». La jurisprudence tenait déjà compte de ces éléments, avant la réforme de 2007, au titre de l’atteinte à la valeur du modèle, de sa banalisation ou encore de son avilissement du fait de la contrefaçon.

Il se peut en effet que le modèle copié soit connu soit parce qu’il est particulièrement original et qu’il aura eu du succès, soit plus simplement parce qu’il aura fait l’objet d’une publicité importante qui aura assuré sa notoriété, comme il se peut que l’objet considéré ait été reproduit soit grossièrement, soit en une matière moins noble et meilleur marché. Il en découlera une dépréciation de cet objet dont l’exploitation se trouvera dans l’avenir compromise. Et cette conséquence sera d’autant plus sensible dans le cas de créations appartenant aux industries de luxe, telles que celles de la mode.

Le préjudice causé à une société par la contrefaçon résulte tant du manque à gagner que de la dépréciation et de la vulgarisation de son modèle, dont elle pouvait espérer une vente prolongée (CA Paris, 12 nov. 1974, Hermès : DS 1976, 230, note Pierre Greffe).

Les intimés ne contestant pas la rigoureuse identité du papier peint incriminé avec le tissu Prelle, il est indiscutable que la reproduction a été faite à l’identique, la similitude apparaissant tant dans les lignes générales que dans les moindres détails, la contrefaçon est donc réalisée ; l’emploi d’une matière moins noble, loin de supprimer la contrefaçon puisqu’elle ne modifie en rien l’aspect extérieur du dessin, a pour effet d’aggraver le préjudice en dépréciant le modèle présenté par son créateur comme une fabrication luxueuse, et en portant atteinte à son originalité par une vulgarisation de nature à détourner de son achat une clientèle soucieuse d’inédit (CA Lyon, 18 juin 1974 : Ann. propr. ind. 1975, 108).

Le préjudice causé par la contrefaçon d’un modèle de peau de crocodile protégé par la loi du 11 mars 1957 comprend la perte subie et le gain manqué du fait de la contrefaçon, la dépréciation causée au modèle contrefait, les frais de lancement d’une création nouvelle ayant un aspect différent de celui de l’objet contrefait, et les peines et soins du procès (CA Paris, 24 mai 1977 : Ann. propr. ind. 1978, 218).

Doit être retenu comme élément d’appréciation du préjudice subi par un joaillier, la vulgarisation d’un bijou d’un certain prix par le bijou contrefaisant, à bas prix, objet de pacotille, la clientèle du joaillier n’achetant plus des bijoux de prix ainsi vulgarisés (CA Paris, 8 nov. 1978 : JCP 1979, II, 19221, note P. Greffe. – V. également CA Paris, 17 juin 1986 : PIBD 1987, III, 19).

L’attribution d’une indemnité pour le gain manqué ne répare pas nécessairement tout le dommage causé par les actes de contrefaçon : le simple fait de porter atteinte à un droit privatif cause déjà un dommage au titulaire de ce droit, et en l’espèce, la vente des articles contrefaits à des prix inférieurs à ceux pratiqués par le titulaire du modèle a entraîné une dépréciation de l’objet protégé (CA Paris, 25 juin 1979 : Ann. propr. ind. 1981, 216).

La Cour de Paris, par un arrêt du 19 novembre 1981 a jugé que le fait de reproduire un modèle connu, et de le reproduire servilement, c’est-à-dire très exactement, était constitutif d’une faute bien que le modèle fût dans le domaine public, cette reproduction ayant eu « pour effet de dévaloriser le modèle dans l’esprit de la clientèle » (le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 janvier 1984 : Ann. propr. ind. 1984, 83).

Banalisation et dépréciation du modèle. Aggravation du préjudice (CA Paris, 2 mai 1988 : PIBD 1988, III, 499, no 443). Dépréciation d’un modèle vendu à un prix inférieur (CA Paris, 3 juin 1985 : PIBD 1988, III, 95, no 428. – 8 oct. 1990 : PIBD 1990, III, 251, no 498).

Le modèle contrefait, qui, dès sa diffusion, a connu un important succès commercial, se trouve déprécié par la mise dans le commerce de copies de qualité médiocre ; il s’ensuit un trouble commercial certain dont le contrefacteur doit réparation (CA Paris, 27 févr. 1989 : D. 1990, somm. 188, obs. J.-J. Burst).

La commercialisation de montres comportant des cadrans contrefaisants d’une qualité et à un prix inférieurs à celles de la société Beuchat est de nature à avilir les montres de cette dernière, à provoquer une désaffection d’une partie de la clientèle recherchant un produit moins vulgarisé et à faire perdre une chance de vendre à des personnes qui auraient fait l’effort d’exposer une dépense supérieure faute de trouver un produit d’apparence similaire à meilleur prix (CA Aix-en-Provence, 6 oct. 1989 : PIBD 1989, III, 677, no 428).

Le seul fait de proposer à la vente et de vendre des montres et des boucles d’oreilles Chanel ne constitue pas un acte de concurrence déloyale distinct des atteintes aux droits privatifs de la société Chanel ; en revanche, ces agissements qui reviennent à exposer à la vente et à vendre dans un lieu à haute fréquentation touristique, à des prix modestes des articles de qualité moindre, assimilés aux articles de la société Chanel, portent une atteinte certaine au renom de cette maison internationalement connue comme prestigieuse, la banalisation de ces modèles ainsi dévoyés se traduit nécessairement par un détournement d’une clientèle potentielle (TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 25 oct. 1991, Chanel c/ New-Bijou, inédit).

Le préjudice causé au demandeur résulte non seulement de la perte des ventes mais également de la vulgarisation qui frappe les modèles et de la perte de leur pouvoir attractif, dès lors que les produits contrefaisants se trouvent diffusés dans une moindre qualité. Procédant à des investissements publicitaires importants dont il justifie, il se voit privé ainsi d’une partie des fruits de ses créations et des efforts qu’il développe. En outre, la mise sur le marché des modèles contrefaisants discrédite la victime de la contrefaçon aux yeux de ses revendeurs exclusifs (CA Paris, 4e ch. A, 20 sept. 1995 : Gaz. Pal. 1996, I, somm. 166).

Si les auteurs ne peuvent à présent justifier de leur ambition de voir proposer à la vente leur dessin, les pièces versées aux débats sur la publicité donnée à leur œuvre dans la revue « Vite fait bien fait » et dans l’utilisation qui en a été faite par certains stylistes de la société de couture Agnès B, laissent augurer d’un potentiel d’exploitation commerciale non négligeable. Ils subissent ainsi par l’utilisation abusive de la Seita une atteinte certaine à l’originalité de leur dessin et à toute chance de pouvoir un jour le promouvoir à des fins lucratives (TGI Paris, 18 oct. 1995 : PIBD 1996, 603, III, 57. – V. encore TGI Paris, 18 oct. 1995 : PIBD 1996, 603, III, 56. – CA Paris, 11 déc. 1998 : PIBD 1999, 673, III, 155).

Pour le façonnage d’un seul modèle de bague en l’espèce un modèle Van Cleef, il a été jugé que la dépréciation « provoquée par les sociétés intimées ont proposé à la vente une copie servile du modèle de bague philippine ne présentant pas les qualités du modèle originel, justifiait la réparation du préjudice tant commercial que moral subi par la société » (C.A. Paris 19 jan. 2000. PIBD 2000. 699. III. 296).

Dans une décision du 22 janvier 1999 (PIBD 1999. 681. III. 334) la Cour d’Appel de Paris a jugé « qu’au préjudice subi du fait des ventes manquées, il convenait d’ajouter le préjudice résultant de la dépréciation et de la banalisation du modèle (V. encore : C.A. Paris 21 mars 2001. Ann. Prop. Ind. 2001. 269. – C.A. Paris 21 sept. 2001. PIBD 2002. 735. III. 61)

Jugé qu’il convient de prendre en considération d’une part, que la diffusion des modèles contrefaisants, en banalisant leur création originale a nécessairement porté atteinte à des modèles dont la commercialisation sur plusieurs années démontre qu’ils répondent toujours aux besoins de la clientèle, et d’autre part, que le caractère servile de la copie réalisée contribue indéniablement à avilir et à déprécier ces modèles aux yeux de la clientèle (CA Paris. 4ème Ch. 9 juin 2004. PIBD 2004. 893. III. 521)

S’agissant de modèle d’escarpin de la société Charles Jourdan ayant servi de présentoir pour des bijoux commercialisés par les hypermarchés Leclerc, la cour d’appel de Paris a jugé que de tels faits avaient nécessairement eu pour objet de dévaloriser le modèle de la société Charles Jourdan et de lui causer un trouble commercial, et pour la fixation des dommages et intérêts, la Cour d’appel de Paris a pris en considération le fait que le modèle contrefaisant avait été diffusé à plus de 50 millions d’exemplaires dans la presse et en première page du catalogue distribué par les hypermarchés Leclerc (CA Paris. 4ème Ch A. 6 oct. 2004. PIBD 2004. 898. III. 787. Pour la banalisation d’un modèle V. encore CA. Paris 4ème Ch. A. 14 sept. 2005. PIBD 2005. 818. III. 680. – CA Paris. 1er févr. 2006. PIBD 206. 828. III. 298)

S’agissant d’un motif de broderie, le chef de préjudice lié à la banalisation et à la dévalorisation est distinct du préjudice commercial dans la mesure où il correspond à l’anéantissement de la valeur patrimoniale consécutive à la commercialisation par les sociétés Carrefour, au travers de l’ensemble de leur réseau de magasins, des draps de bains revêtus du dessin de broderie revendiqué par la société Carré Blanc Distribution (CA Versailles 10 mars 2010.PIBD 2010.916.III.253).

Pour un modèle de valise Delsey, la Cour d’Appel retient que le préjudice est également fonction de la banalisation et de la vulgarisation du modèle de la société Delsey en raison, notamment, de sa présentation et de la qualité bien inférieure de sa finition et de ses matières (CA Paris 6 nov. 2009-PIBD 2010.913.III.158).

Alors qu’elle avait « des relations commerciales avec la société demanderesse et qu’elle avait acquis plusieurs montures du modèle litigieux, la société défenderesse a manifestement voulu s’approprier du travail inventif et les investissements de cette dernière en mettant sur le marché des produits contrefaisants, dont le prix de vente inférieur à ceux qu’elle pratiquait et la fabrication en Chine, ne peut que préjudicier à l’image que la société demanderesse souhaite véhiculer sur ses produits à savoir comme en atteste un article de presse des lunettes « High-Tech haut de gamme » » (CA Paris Pôle 5, ch. 1, 4 nov. 2016, BLI DBP / Optical Center. R.G. 16/03711).

S’agissant d’une dentelle qui avait été contrefaite, le Tribunal a jugé que « le fait d’apposer cette dentelle destinée à être commercialisée sur des vêtements de haute couture dans une qualité moindre sur un produit de plus grande consommation très largement diffusé (…) contribue à sa banalisation et à sa dépréciation et porte atteinte au pouvoir attractif dans le cadre du seul marché des produits de luxe vers lequel s’est orientée la société SOLSTISS pour survivre dans un contexte de concurrence internationale forte (…) Cette pratique nuit également à l’image de la société SOLSTISS qui se spécialise précisément dans le commerce de la dentelle haut de gamme » (TGI Lille, 9 juin 2016, n° 15/0274).

Dans le même sens, la Cour d’appel de Paris a pu retenir au titre du préjudice moral « la dépréciation que subit inéluctablement un modèle de dentelle délicat, appelé à agrémenter des robes de haute-couture (…) » (CA Paris 5 juin 2013 n° 11/17399).

E. – Mesures d’information

La loi du 29 octobre 2007 comporte une disposition (art. L. 331-1-2 et art. L. 521-5) qui permet de contraindre le contrefacteur de communiquer un certain nombre de documents déterminant non seulement l’origine de la contrefaçon, mais aussi son importance  (V. fasc. 3480 ; Caroline Rodà : Les conséquences civiles de la contrefaçon des droits de propriété industrielle – Litec – Collection CEIPI 2011
n° 433) :

« si la demande lui en est faite, la juridiction saisie d’une procédure civile……peut ordonner au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits contrefaisants, ou qui fournit des services utilisés dans des activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.

La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime.

Les documents ou informations recherchés portent sur :

a). les nom et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres, détenteurs des produits ou services, ainsi que des grossistes destinataires ou détaillants.

b). les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que le prix obtenu pour les produits ou services en cause ».

Les dispositions des articles L. 331-1-2 et L. 521-5 du CPI qui autorisent le juge de la mise en état à ordonner la production de documents ont pour finalité de permettre de déterminer l’origine et les réseaux de distribution et obtenir tous renseignements sur l’ampleur de la contrefaçon alléguée (CA Paris 10 juin 2011.PIBD 2011.945.III.533).

Le droit à l’information vient ainsi compléter les dispositions relatives à la saisie-contrefaçon, les unes n’étant pas exclusives des autres.

Jugé qu’il ressort des dispositions de l’article L. 332-1 du CPI relatif à la saisie-contrefaçon, que les documents comptables permettant d’évaluer l’étendue du préjudice résultant de la commercialisation de l’œuvre illicite peuvent être saisis. Une telle interprétation de l’article L. 332-1 du CPI n’est pas contraire aux dispositions de l’article L. 331-1-2 du même Code qui a introduit le droit à l’information dans la mesure où celui-ci est un nouvel outil juridique donné au titulaire du droit pour obtenir des informations auxquelles il n’a pu avoir accès antérieurement, notamment par le biais de saisie-contrefaçon, et où ce droit a uniquement pour objet de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits ou procédés contrefaisants (TGI Paris 8 juin 2010. PIBD 2010.928.III.752).

C’est pourquoi, il est regrettable que certaines décisions aient refusé le droit à l’information au seul motif que le demandeur s’était abstenu de faire procéder à une saisie-contrefaçon (TGI Paris 29 oct. 2009.PIBD 2010.911.III.98).

Les mesures que peut prendre le juge de la mise en état au titre du droit à l’information doivent cependant répondre à certaines conditions.

Aux termes des Considérants 8 et 20 de la Directive dont sont issus les articles L.331-1-2 et L. 521-5 du CPI, ces mesures doivent répondre à une demande justifiée et proportionnée du requérant, respecter les droits de la défense et être assorties des garanties nécessaires, y compris la protection des renseignements confidentiels.

En conséquence, la jurisprudence, aujourd’hui bien établie, estime que pour apprécier l’opportunité des demandes qui lui sont présentées à ce titre, le juge de la mise en état prend en considération les circonstances de l’espèce, les éléments versés aux débats et l’absence de décision au fond afin de ne pas porter une atteinte excessive aux intérêts du défendeur dont la responsabilité n’a pas été judiciairement établie. (TGI Paris 29 oct. 2009 préc. PIBD 2010-911.III.98).

Le juge de la mise en état est compétent pour ordonner éventuellement des mesures prévues par ces articles avant toute décision sur la matérialité de la contrefaçon (C. Cass. ch. com. 13 déc. 2011.PIBD 2012.956.III.125).

F. – Mesure d’expertise

La juridiction saisie peut enfin ordonner une expertise pour évaluer le préjudice. L’on constate cependant, ces dernières années, que les Tribunaux désignent rarement des experts pour fixer le montant de l’indemnité, les procédures de saisie-contrefaçon d’une part, le droit à l’information d’autre part leur permettant le plus souvent de disposer des documents comptables.

Mais lorsque la masse contrefaisante est importante et que le litige concerne plusieurs modèles, les Tribunaux n’hésitent pas à s’adjoindre les services d’un expert (TGI Paris. 25 nov. 2009. PIBD 2009.893.III.939 ; TGI Nantes. 27 mai 2008.PIBD 2008.879.III.480).

G. – Cas de la marque emblématique

L’hypothèse est la suivante : un dessin a été choisi pour constituer une marque et le contrefacteur de la marque se trouve être également, et par voie de conséquence, le contrefacteur du dessin.

Doit-on estimer, d’une part, le préjudice résultant de la contrefaçon de marque, et, d’autre part, le préjudice résultant de la contrefaçon du dessin, puis les additionner ?

Un arrêt de la cour de Paris (CA Paris. 4ème Ch. 12 févr. 1970, Cie française de Nutrition c/ Petrucci, inédit) décide très justement : « que la contrefaçon du dessin n’engendre en l’espèce aucun préjudice distinct du dommage causé par la contrefaçon de la marque ».

Il faut préciser, il est vrai, que dans l’espèce dont il s’agit, l’arrêt soulignait que si les éléments caractéristiques de la marque étaient seuls contrefaits, à savoir le dessin, la partie nominative n’était nullement imitée.

H.- Solidarité

Le Tribunal, conformément au droit commun, prononce la solidarité entre les complices. Il est nécessaire pour cela que les personnes dont la responsabilité est retenue, aient également participé aux mêmes faits délictueux. Autrement dit, il serait insuffisant que plusieurs individus aient été seulement impliqués dans une seule procédure, qu’ils aient été poursuivis ensemble, puis condamnés dans un seul jugement.

Jurisprudence

C’est à bon droit que les coauteurs d’un même délit de contrefaçon sont condamnés solidairement à réparer le préjudice qu’ils ont causé (Cass. com., 25 juin 1969 : Bull. civ. IV, no 246). Le coauteur d’une contrefaçon doit en supporter toutes les conséquences et c’est à juste titre qu’il est déclaré solidairement responsable de l’autre auteur (CA Paris, 16 mai 1970 : DS 1971, 26, note P. Greffe).

Dès lors qu’il n’existe pas un lien de connexité entre les délits reprochés à des prévenus et ceux reprochés à d’autres prévenus, les premiers doivent être déchargés du paiement des dépens occasionnés par les poursuites dirigées contre les seconds (CA Paris, 12 juill. 1972 : JCP 1973, II, 17290).

S’est sciemment associé à la contrefaçon un fabricant de ceintures qui, ayant nécessairement connaissance du marché des boucles de ceintures, achète un modèle de boucle chez un fabricant, puis commande des objets semblables à un autre fabricant. La production à la cour d’une lettre écrite par l’auteur d’une contrefaçon qui déclare « prendre toutes les responsabilités de l’affaire » ne saurait faire prononcer la mise hors de cause d’un coauteur sciemment associé à cette contrefaçon. Si les auteurs d’un même délit sont solidaires pour assumer la charge de la réparation à l’égard de la victime, les auteurs de délits qui sont seulement « de même nature » ne sont pas solidaires (Cass. com., 13 janv. 1971 : DS 1971, 147).

Jugé que le montant de la condamnation prononcée ne sera mis à la charge des défenderesses qu’à proportion du dommage à la réalisation duquel elles ont indissociablement concouru (T.G.I Paris 23 févr. 2000. PIBD 2000. 702. III. 380. V. encore C.A. Paris 15 mars 2000. PIBD 2000. 707 III. 528. – T.G.I Paris 10 oct. 2000. PIBD 2001. 715. III. 117. – T.G.I Paris 19 juin 2001. PIBD 2002. 736. III. 88).

I. – Faits postérieurs au jugement
et antérieurs à l’arrêt

Chaque fait de contrefaçon constituant un délit distinct, il faudrait, si l’on appliquait strictement ce principe, en conclure que les juges d’appel ne pourraient prononcer un supplément de dommages-intérêts pour des faits de contrefaçon qui se seraient produits depuis le jugement de première instance. Il faudrait que l’auteur lésé intente un nouveau procès. On admet la possibilité pour l’intimé d’obtenir l’augmentation de dommages-intérêts à raison de la poursuite du préjudice causé, alors qu’aucune discussion ne peut s’élever tant sur la réalité de la contrefaçon que sur l’époque des actes postérieurs au jugement.

Jugé que pour s’opposer aux demandes formées à ce titre par la société intimée, l’appelante soutient, en invoquant les dispositions de l’article 564 du Code de procédure civile, que celles-ci constitueraient des prétentions nouvelles, de sorte qu’elles seraient irrecevables. Mais aux termes des dispositions de l’article 565 du même Code, les prétentions ne sauraient être qualifiées de nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge. Tel est le cas en l’espèce l’intimé entendant faire sanctionner l’appelante en raison des actes de contrefaçon de modèles intervenus postérieurement au jugement déféré de sorte que ces demandes sont recevables (CA paris. 11 janv. 2006.PIBD 2006.825.III.187). Il convient par ailleurs de rappeler que l’astreinte que peut faire liquider la victime de la contrefaçon pour les faits postérieurs au jugement est indépendante des dommages et intérêts (Cass. 19 déc. 2006.PIBD 2007.846.III.121).

J. – Masse contrefaisante. Interprétation de la décision
de condamnation. Objet incriminé modifié
mais demeurant contrefaisant

Le titulaire d’un modèle est fondé à solliciter la condamnation non seulement de l’objet sur lequel a été pratiquée la saisie-contrefaçon, et qui a été reconnu contrefaisant, mais encore de tous objets identiques, similaires ou analogues, qui comportent la caractéristique se trouvant dans l’objet saisi et reconnue contrefaisante. Jugé qu’en l’espèce, l’arrêt de condamnation (CA Paris, 29 nov. 1976 : Ann. propr. ind. 1977, 59) a dit dans ses motifs, soutien nécessaire du dispositif, que le modèle comportait trois caractéristiques nouvelles ; il importe peu que pendant le cours de la procédure, le contrefacteur ait modifié sa fabrication et ne reproduise plus que deux des caractéristiques jugées originales et contrefaites ; il y a lieu en conséquence de comprendre, dans la masse contrefaisante, non seulement les modèles identiques aux modèles saisis, mais encore les modèles modifiés restant contrefaisants (V. encore CA Paris, 1er oct. 1979 : Ann. propr. ind. 1981, 217).

K – personnes parties au procès

Il ne peut y avoir lieu à confiscation qu’à l’encontre des personnes parties au procès. C’est la conséquence naturelle du principe que les jugements ne peuvent produire d’effets qu’à l’égard des personnes qui ont figuré à l’instance. En conséquence, si, après avoir obtenu un jugement de condamnation emportant confiscation des exemplaires de l’œuvre contrefaite, l’auteur découvre un certain nombre d’exemplaires contrefaits entre les mains d’un tiers qui ne figuraient pas au premier procès, il ne pourra se prévaloir contre ce tiers du jugement obtenu. Il devra recommencer la procédure, c’est-à-dire faire saisir les exemplaires nouvellement découverts et assigner les détenteurs devant le tribunal compétent.

Jugé à propos de dessins d’un encadrement pour titre de valeurs financières, que la confiscation autorisée par la loi, comme conséquence de la contrefaçon, doit être limitée aux planches saisies entre les mains du contrefacteur, qu’elle ne saurait être étendue aux titres livrés à des tiers et mis en circulation (CA Montpellier, 27 mars 1927 : Ann. propr. ind. 1927, 294).

L. – Prescription de l’action

La contrefaçon d’un dessin ou d’un modèle constituant un délit se prescrit, dans la mesure où l’action est engagée devant le Tribunal correctionnel dans un délai de trois ans.

Sur le terrain civil, ce sont les dispositions de l’article 2224 du Code civil issues de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile qui s’appliquent aujourd’hui et qui ont réduit le délai de droit commun à cinq ans (sur l’application de la loi dans le temps, voir TGI Paris 10 juin 2011. PIBD 2011.951.III.712)

Il convient, enfin, d’observer que, tant sur le plan pénal que sur le plan civil, chaque fait de contrefaçon constituant un délit distinct, la prescription court pour chacun des faits pris indépendamment des autres.

IV – PROCEDURES ABUSIVES

Conformément au droit commun, l’action jugée abusive expose celui qui l’a entreprise à une condamnation à des dommages-intérêts. Et il importe peu que cette action ait été précédée ou non d’une saisie. Des sanctions peuvent intervenir aussi en cas d’appels abusifs.

1°.- Jurisprudence

Il n’est pas possible de prétendre que le titulaire du modèle a commis un abus de droit en ne poursuivant pas les opérations de saisie entreprises, le saisissant étant en droit de renoncer à la faculté que lui confère l’ordonnance d’autorisation. Cependant, le titulaire du modèle n’ayant pu se méprendre sur l’étendue de ses droits, la saisie qu’il a entrepris de faire pratiquer est abusive, et il doit être condamné à réparer le préjudice venant du trouble commercial causé par cette saisie (CA Paris, 26 sept. 1977 : Ann. propr. ind. 1978, 207. V. encore CA Paris, 9 avr. 1973 : Ann. propr. ind. 1974, 69).

Jugé que Pozar en faisant pratiquer des saisies-contrefaçons dans une foire internationale et en n’assignant que dix-huit mois après, alors que les différences entre les originaux et les prétendues contrefaçons étaient immédiatement apparentes a commis une faute dont il doit réparation aux défenderesses dont l’honorabilité a été mise en cause et qui ont dû rester longtemps dans l’incertitude (TGI Paris, 31 janv. 1986 : PIBD 1986, III, 187. Dans le même sens, pour avoir fait pratiquer une saisie au salon du Bijorhca (CA Paris, 16 sept. 1980 : PIBD 1981, III, 25), de même encore pour une saisie pratiquée dans un salon professionnel (CA Paris, 26 sept. 1977 : PIBD 1978, III, 280. – V. encore CA Paris, 10 juin 1982 : PIBD 1982, III, 215).

L’action en contrefaçon n’est pas introduite avec malveillance ou légèreté blâmable dès lors que le demandeur a pu se méprendre de bonne foi sur la portée et l’étendue de ses droits (CA Paris, 15 sept. 1986 : D. 1988, somm. 397, obs. J.-J. Burst. – CA Douai, 5 avr. 1990 : PIBD 1990, III, 407, no 480. – CA Paris, 5 mars 1990 : PIBD 1990, III, 561, no 485).

Une société, pour avoir initié à ses risques et périls une procédure de saisie-contrefaçon, alors que d’une part elle n’a pas été en mesure de démontrer qu’à la date de la réquisition le modèle était susceptible de bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, et d’autre part que malgré l’absence d’objets contrefaits découverts dans les lieux visités elle a délivré une assignation, a causé à la société défenderesse un préjudice direct et certain résultant de ce que celle-ci a été attraite dans une procédure qui aurait dû être évitée (CA Paris, 7 oct. 1998 : PIBD 1999, 667, III, 17).

Jugé encore que toute personne qui procède à une saisie-contrefaçon le fait à ses risques et périls et doit dès lors répondre de tous les dommages qui pourraient s’ensuivre si, bien que fondée, elle a lieu dans des conditions abusives ou s’il a été procédé sur un titre de propriété industrielle qui se révèle être sans valeur. Ayant constaté que la saisie à laquelle une société avait fait procéder dans un stand qu’une société concurrente tenait dans les Magasins du PRINTEMPS, avait provoqué l’interdiction faite par cette dernière de poursuivre dans ses locaux la vente du modèle litigieux jusqu’à ce qu’il soit statué sur ses droits, la Cour d’Appel a justifié sa décision de l’en faire indemniser par l’auteur de la saisie injustifiée (Cass. com.19 oct. 1999. PIBD 2000.690. III. 49).

Que l’intention de nuire d’une société est d’autant plus patente qu’elle a fait procéder à une saisie-contrefaçon non dans les locaux de sa concurrente ou dans un lieu public, mais dans le Cabinet même d’un utilisateur du matériel, entièrement étranger au différend opposant les deux sociétés (C.A. Paris 10 janv. 2001. PIBD 2001. 272. III. 324).

La Cour de cassation approuve un arrêt d’avoir condamné pour procédure abusive les demandeurs en retenant que compte tenu de l’état de la technique et du marché, ceux-ci n’ont pu valablement se méprendre de bonne foi sur l’étendue de leurs droit à agir, tant en contrefaçon qu’en concurrence déloyale ou parasitisme, leur comportement ne s’expliquant que par la volonté d’intimider un concurrent pour tenter de l’éliminer du marché ce qui procède d’un abus de droit (C. Cass. ch. com. 3 juin 2003. Note J. Schmidt-Szalewski)

2°.- Publication à tort d’un jugement frappé d’appel

C’est une faute que de publier un jugement frappé d’appel, quoique cette mesure ait été ordonnée par le Tribunal.

Il a été décidé sur ce point que les parties peuvent demander des dommages-intérêts pour le préjudice souffert depuis la décision de première instance. Ainsi doit être condamné à verser des dommages-intérêts celui qui diffuse un jugement non exécutoire par provision et qu’il savait ne pas être définitif (CA Rouen, 27 mai 1960 : Ann. propr. ind. 1961, 88). De même constitue un acte déloyal l’information donnée au client d’un concurrent d’une poursuite en contrefaçon non encore reconnue fondée par une décision judiciaire (CA Paris, 25 avr. 1989 : Ann. propr. ind. 1990, p. 186).

Mais une société ne saurait invoquer à l’encontre de son concurrent qu’elle a fait condamner en contrefaçon, la publication de la décision, frappée d’appel, qui est le fait d’un tiers, en l’espèce d’un journaliste (notamment CA Paris, 30 juin 1994 : PIBD 1994, 575, III, 516). Il faut rappeler à ce sujet que les décisions des Tribunaux sont rendues publiquement. Portées ainsi à la connaissance du public, elles peuvent en conséquence faire l’objet de compte –rendus dans la presse.

V – LOI DU 9 FEVRIER 1895 SUR LES FRAUDES DANS LE DOMAINE ARTISTIQUE MODIFIEE PAR LA LOI DU 9 FEVRIER 1994 ET L’ORDONNANCE DU 19 SEPTEMBRE 2000

Cette loi punit de deux ans d’emprisonnement et de 75.000 € d’amende, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu, ceux qui auront apposé ou fait apparaître frauduleusement un nom usurpé sur une œuvre de peinture, de sculpture, de dessin, de gravure ou de musique et ceux qui, sur les mêmes œuvres, auront frauduleusement et dans le but de tromper l’acheteur sur la personnalité de l’auteur, imiter sa signature ou un signe adopté par lui.

L’article 2 porte que les mêmes sanctions seront applicables à tout marchand ou commissionnaire qui aura sciemment recélé, mis en vente ou en circulation les objets revêtus de ces noms, signatures ou signes.

L’article 3 prescrit que les objets délictueux seront confisqués et remis au plaignant ou détruits sur son refus de les recevoir et que la juridiction peut procéder de même, en cas de non lieu ou de relaxe, lorsqu’il est établi que les œuvres saisis constituent des faux.

Cette loi, à l’origine, ne s’appliquait qu’aux œuvres non tombées dans le domaine public. Elle est applicable aujourd’hui aux œuvres tombées dans le domaine public sans préjudice pour les autres de l’application de l’article 423 du Code pénal, article qui concerne les fraudes dans la vente des marchandises, et notamment au sujet de leur origine.

Jurisprudence

Si le texte de cette loi interdit l’apposition d’un « nom usurpé », il est admis par la jurisprudence qu’elle punit également l’apposition d’un nom autre que celui du véritable auteur, quel que soit le nom ainsi apposé ; de telle sorte que celui qui fait figurer son nom à la place de celui de l’auteur, sur une œuvre d’art, commet l’infraction prévue par la loi (CA Paris, 4 juin 1902 : DP 1904, 2, 237, note M. Pouillet)

Lorsqu’une œuvre, revêtue d’une fausse signature, est en même temps publiée, l’auteur de pareils faits commet à la fois le délit de la loi de 1895 et le délit de contrefaçon par édition. Ainsi en a décidé la Cour de Paris au sujet de la publication d’un dessin publicitaire revêtu d’une signature usurpée. (C.A Paris 25 févr. 1958 : Gaz. Pal. 1958, I, 379) : « Que la cour tient pour établi que le dessin contesté est de la main de L… et a été frauduleusement revêtu de la signature de F.…Ainsi se trouve constitué le délit prévu par l’article 1er de la loi du 9 février 1895, l’intention frauduleuse résultant du fait lui-même. »

Il a été d’autre part jugé que le fait de vendre des croquis ou des dessins de mode d’un grand couturier en y mentionnant des noms usurpés constitue à la fois le délit de fraude en matière artistique (Loi 9 février 1895) et celui « d’altération ou de supposition de noms sur les produits fabriqués » prévu par la loi du 28 juillet 1824  (CA Paris, 21 févr. 1956 : Ann. propr. ind. 1956, 243).

Jugé encore que la Cour d’Appel ayant souverainement relevé que l’inauthenticité de la signature « Maurice Utrillo V » avait été déclarée lors de la vente, le tableau litigieux étant présenté comme une œuvre de « l’Ecole de Paris » avec la mention (portant une signature apocryphe de Maurice Utrillo), et qu’il n’était ni une copie ni une imitation de ce peintre, a pu en déduire que la mise en vente de cette œuvre, dans de telles conditions, ne constituait pas une atteinte au droit moral de Maurice Utrillo, mais une atteinte à un droit de la personnalité, et qu’elle ne caractérisait pas davantage l’infraction visée aux articles 1 et 2 de la loi du 9 février 1895 qui incrimine l’apposition frauduleuse d’un nom usurpé sur une œuvre de peinture, l’élément de fraude faisant en l’espèce défaut (Cas. 1ère civ. 18 juil. 2000. S.J. E. A. 2000. p.1688).

Avocat à la Cour
Professeur au CEIPI

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