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Preuve de la contrefaçon – Constat d’achat

  • Selon la Cour d’appel, l’absence d’indication dans des procès-verbaux de constat d’achat en ligne et en magasin, de la qualité de stagiaire du Cabinet du requérant, constitue une violation du principe de loyauté dans l’administration de la preuve.
  • Rien ne dit que la Cour aurait adopté la même solution que celle de la Cour de cassation dans son arrêt du 25 janvier 2017 si l’huissier avait pris le soin de mentionner la qualité des acheteurs dans ses procès-verbaux.
  • Il demeure que la jurisprudence reste divisée sur cette question et il faut donc espérer que la Haute Juridiction reviendra sur son appréciation de 2017.

CA Paris, pôle 5, ch. 2, 18 oct. 2019, n° 18/08962

NOTE :

La question de la validité d’un procès-verbal de constat d’achat dressé par un huissier assisté par un stagiaire de l’avocat du requérant, continue de susciter des difficultés, qu’il s’agisse de constats sur internet ou dans un magasin, et cette décision ne résout pas la question posée.

La Cour estime que « … l’absence d’indication dans le procès-verbal tant en ligne qu’en magasin de la qualité de stagiaire du conseil [de la requérante] constitue une violation du principe de loyauté de l’administration de la preuve qui affecte la validité des deux procès-verbaux de constat d’achat ».

Ainsi, la déloyauté résiderait dans le fait que l’huissier n’a pas mentionné la qualité de la personne dont il a consigné l’achat et non dans le fait que cette personne n’est pas un tiers indépendant.

Il peut en effet sembler légitime que le poursuivi en contrefaçon puisse identifier la personne ayant effectué l’achat.

La Cour d’appel se réfère cependant à l’article 6§ 1 de la Convention européenne de sauvegarde droits de l’homme et des libertés fondamentales et à l’article 9 du code de procédure civile, comme l’avait fait la Cour de cassation dans son arrêt du 25 janvier 2017 et dans les mêmes termes (Cass. 1ère civ., 25 janv. 2017, n° 15-25210) : « Il résulte de [ces dispositions], ensemble le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, que le droit à un procès équitable commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante »

Simple précaution de pure forme pour éviter une éventuelle censure de la haute juridiction ou attendu de principe, il est difficile de le savoir, seul le défaut d’indication dans le procès-verbal de la qualité de l’acheteur ayant en définitive été jugé déloyal par la Cour.

Quoi qu’il en soit, annuler un constat d’achat au seul motif que le tiers acheteur n’est pas indépendant du requérant ne nous semble pas justifié, cette jurisprudence consacrant ainsi une présomption de mauvaise foi.

Il convient de distinguer le constat d’achat sur internet et le constat d’achat dans un magasin.

S’agissant de constats d’achat sur internet, la solution dégagée par la Cour de cassation dans son arrêt précité du 25 janvier 2017 ne nous paraît pas se justifier.

Comme le Tribunal de grande instance de Paris l’a déjà jugé, l’huissier ne se livre dans ce cas qu’à des constatations purement matérielles « en présence de la personne qui a procédé elle-même aux opérations d’achat du produit, de sorte qu’est à exclure de la part de celle-ci toute manœuvre ou toute absence de neutralité, destinée à servir les intérêts du requérant, client du Cabinet de son maître de stage » (TGI Paris, 3ème ch., 3ème sect., 26 oct. 2018, n° 16/07672).

Contrairement à un constat d’achat dans un magasin au cours duquel l’huissier reste posté à l’extérieur, le constat est ici réalisé de bout en bout en présence de l’huissier, ce qui exclut tout risque de « manœuvres » et/ou de « stratagèmes » de la part de l’acheteur, qu’il soit ou non indépendant de la partie requérante.

Et lorsque les produits commandés sur internet sont livrés directement à l’Etude de l’huissier, seconde étape du constat, aucune « manipulation » ne peut non plus intervenir de la part de l’acheteur.

La même solution devrait sans aucun doute prévaloir lorsque le constat d’achat est réalisé dans un magasin et c’est d’ailleurs en ce sens que s’est prononcé récemment, à trois reprises, le Tribunal de grande instance de Paris postérieurement à l’arrêt précité de la Cour de cassation (TGI Paris, 3ème ch., 1ère sect., 5 avr. 2018, n° 17/00613 : « La seule circonstance que la personne assistant l’huissier de justice ait la qualité d’avocat stagiaire du conseil de la demanderesse est sans incidence sur la validité de l’administration de la preuve… dès lors qu’hors la preuve d’un stratagème déloyal de nature à influer sur ses opérations, l’huissier de justice a pu constater lui-même tous les faits qu’il relate dans ses procès-verbaux de constat » ; TGI Paris, 3ème ch., 3ème sect., 1er déc. 2017, n° 16/12596 : « … quand bien même l’assistant de l’huissier instrumentaire est effectivement en l’espèce, le stagiaire de l’avocat du requérant, il n’en demeure pas moins en l’espèce que l’intéressée est entrée dans le magasin sans être porteuse d’un quelconque objet en relation avec l’affaire et qu’elle en est ressortie quelques instants plus tard, avec un ticket de caisse et une ceinture Coach, ce que l’huissier a constaté, sans que ne puisse être suspectée l’existence de quelconques manœuvres de celle-ci, qui ne saurait en tout état de cause se déduire de la seule qualité de stagiaire du Cabinet d’avocat du requérant » ; dans le même sens, v. également TGI Paris, 3ème ch., 4ème sect., 22 nov. 2018, n° 17/12253).

Il convient encore de se reporter à l’arrêt du 27 mars 2019 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation. La Cour casse un arrêt de la Cour de Paris qui avait infirmé un jugement désignant en qualité d’expert un ingénieur conseil en propriété industrielle qui précédemment à sa désignation était intervenu en qualité de conseil de la société demanderesse à l’action en contrefaçon et ce en ces termes : « En statuant ainsi, alors que le fait que le conseil en propriété industrielle de la partie saisissante est, à l’initiative de celle-ci, établi un rapport décrivant les caractéristiques du produit incriminé ne faisait pas obstacle à sa désignation sa mission n’étant pas soumise au devoir d’impartialité et ne constituant pas une expertise au sens des articles 232 et suivants du Code de procédure civile ».

Ainsi donc l’acquéreur d’un objet dont l’achat est constaté par un huissier est présumé de mauvaise foi, alors que l’expert désigné par un tribunal peut être partial.

Une question simple, celle de la preuve de contrefaçon, parait ainsi se compliquer.

Nous sommes d’avis qu’il importe peu en réalité de savoir si l’acheteur est ou non indépendant du requérant, l’existence d’éventuelles manœuvres, qu’il appartiendra au défendeur de démontrer, ne pouvant se déduire de sa seule qualité ce d’autant moins s’il s’agit, comme en l’espèce, d’un stagiaire au sein d’un cabinet d’avocat qui est soumis à des règles de déontologie.

La contrefaçon est un fait dont la réalité peut être établie par tout moyen et la jurisprudence admet depuis longtemps qu’un simple achat effectué dans un magasin peut suffire. Il en est ainsi lorsque le produit acheté comporte une référence que l’on retrouve sur la facture ou le ticket de caisse du magasin où il a été acheté.

La preuve de l’achat est alors indiscutable et la qualité de l’acheteur, qu’il soit indépendant ou salarié du demandeur à l’action, est sans incidence (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 20 sept. 2019, n° 18/15741. – CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 19 janv. 2016, n° 14/10676).

Il ne devrait pas en aller différemment lorsque l’achat fait l’objet d’un constat par un huissier et il faut souhaiter que la Cour de cassation revienne sur sa jurisprudence.

Avocat à la Cour
Professeur au CEIPI

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