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Reproduction de la nature. Caractère fonctionnel.

1. REPRODUCTION DE LA NATURE. CARACTÈRE FONCTIONNEL

2. La Cour d’appel de Paris refuse de protéger un modèle de mannequin représentant le bas du corps humain en estimant que sa forme a été dictée par sa fonction, celle de présenter des vêtements, et qu’il n’est au surplus pas possible de revendiquer l’exclusivité de la reproduction particulière d’une partie du corps humain (CA Paris, Pôle 5, 1e ch. 30 novembre 2011).

3. NOTE

La Cour avait à se prononcer sur la validité d’un modèle de mannequin représentant le bas du corps humain (bassin et jambes) et ayant pour finalité de présenter des vêtements.

Le modèle est annulé pour deux raisons. La Cour estime en premier lieu qu’il a été choisi pour remplir une double fonction qui est « de permettre l’accrochage à un mur et d’offrir au regard vêtements et accessoires dans une attitude originale et sous des angles nouveaux ». Elle ajoute que la requérante ne « peut être admise à revendiquer l’exclusivité de la reproduction d’une position particulière d’une partie du corps humain ».

1. Tout modèle quel qu’il soit a nécessairement une destination utilitaire et chacun de ses éléments répond à une fonction. Ainsi, les pieds d’une chaise exercent une fonction, celle de supporter la chaise ; un modèle de mannequin servira à représenter des vêtements et des accessoires de mode, etc.

Mais l’existence d’une fonction utilitaire n’est cependant pas exclusive d’une protection par le droit d’auteur ou par le droit des dessins et modèles si la forme adoptée est originale ou si elle possède un caractère propre.

C’est ce qu’a rappelé récemment, en d’excellents termes, la Cour d’appel de Paris pour un modèle de valise : « Une forme qui répond à un souci ornemental et qui porte l’empreinte de la personnalité de celui qui la trace, peut aussi servir une fonction utilitaire particulière. L’exercice d’une fonction utilitaire n’est pas exclusif d’une protection par le droit d’auteur dès lors que la forme adoptée révèle un apport original ».

La Cour ajoute que c’est seulement si le modèle est « asservi à la fonction qu’il exerce, qui la commande et la détermine [que] son auteur ne peut revendiquer [de protection] » (CA Paris, Pôle 5, 2e ch, 6 nov 2009. PIBD 2010. 913. III. 158 ; JCP E. Oct 2010, n° 1902, p. 22 note Fr Greffe).

Il faut donc, pour que l’une des caractéristiques ou éventuellement les caractéristiques d’un modèle puissent être exclues de la protection, que celles-ci soient imposées par la fonction technique du produit, qu’elles soient, pour reprendre l’expression de l’arrêt précité, « asservies » à la fonction qu’elles exercent.

C’est ce qu’exprime l’article L. 511-8 1° du Code de la propriété intellectuelle, étant rappelé que le critère dit de la multiplicité des formes est aujourd’hui condamné par la jurisprudence communautaire (CJUE, 18 juin 2002, in Fr. et P. Greffe, Traité des dessins et modèles, Litec 2008, n° 253 ; CJUE, 14 sept 2010, Prop ind mars 2011, p 34).

Un modèle tel que celui analysé par la Cour pouvait-il être annulé au seul motif qu’il serait fonctionnel ? L’on peut très sérieusement en douter. Les caractéristiques de ce modèle de mannequin, comme la position et l’écartement des jambes, leur galbe, leur volume, la forme du bassin, n’étaient à l’évidence pas dictées par sa fonction qui est de présenter des vêtements, mais résultaient au contraire de choix esthétiques. Ce modèle, qui constitue une sculpture, n’aurait donc pas dû être annulé pour cette première raison.

2. Par ailleurs, les créateurs peuvent s’inspirer de la nature, l’interpréter, et il a toujours été admis que de telles représentations étaient protégeables par le droit d’auteur et par le droit des dessins et modèles.

Il est en effet de jurisprudence constante que l’emprunt à la nature, comme la représentation du corps humain, celle d’animaux ou encore de végétaux, est protégeable s’il fait l’objet d’une interprétation, d’une exécution originale.

Il a ainsi été jugé, s’agissant de représentations interprétant l’homme ou des parties du corps humain :

  • Est protégeable le dessin de neurones réalisé par un illustrateur médical qui, par le choix des éléments, l’agencement des formes, présente l’objet d’une façon originale et porte l’empreinte de la personnalité de son auteur (CA Paris, 24 mai 1997 : D. 1998, Somm. 191, obs. Colombet) ;
  • L’examen des photographies des mannequins de la série « La femme » de Hindsgaul, permet de constater l’originalité de cette œuvre ; s’il s’agit de mannequins que l’on peut qualifier de figuratifs, qui ont sans doute été réalisés en prenant pour modèle des femmes élégantes selon les canons de la mode actuelle, les auteurs des mannequins n’ont à l’évidence pas procédé au moulage du corps et des visages de ces personnages mais ont créé des formes s’en inspirant, en faisant intervenir des choix personnels et notamment en mettant l’accent sur la sveltesse des corps et sur la finesse des traits des visages auxquels ils ont donné une expression d’absence ou de présence lointaine comme l’écrit Hindsgaul, de « sophistication » ; dès lors, ces modèles doivent être considérés comme originaux, nonobstant le fait que d’autres créateurs de mannequins, qui ne sauraient être confondus avec ceux présentement examinés, ont obéi à des choix du même ordre, en correspondance avec les tendances de la mode ; qu’ainsi, les mannequins de la série « La femme » constituent des œuvres nouvelles et originales et bénéficient de la protection de la loi du 11 mars 1957 (CA Paris, 4e ch, 2 mai 1989 : PIBD 1989. 464. III. 544).

Il n’en va autrement que si l’on est en présence d’une imitation servile de la nature (Frédéric Pollaud-Dulian. La propriété industrielle, ed Economica 2011, n° 990) mais de tels cas sont extrêmement rares. Il faudrait imaginer qu’un animal, par exemple, puisse donner lieu à une reproduction servile, c’est-à-dire à un surmoulage, ce qui paraît difficilement concevable.

Les tribunaux l’ont d’ailleurs très rarement admis (voir cependant pour une Coccinelle : cass crim, 4 mai 1899. Ann. Propr. Ind. 1899, 113 ; pour une peau de serpent : cass requ, 17 avr 1934 : Ann. Propr. Ind. 1934, 246 ; Gaz Pal 1931, 2, 64 ; pour un savon en forme de cigale : CA d’Aix-en-Provence, 2e ch, 18 mars 2010, PIBD 2010, 920, III, 415).

La décision commentée nous semble très critiquable dans la mesure où elle refuse précisément la protection du modèle, en considérant que l’auteur ne peut être admis à « revendiquer l’exclusivité de la reproduction d’une position particulière d’une partie du corps humain ».

Cette formule générale pourrait ainsi conduire les tribunaux à ne plus protéger des sculptures, des bustes ou encore des bronzes, au seul motif qu’ils représentent des parties du corps humain.

Et ce raisonnement est au surplus très certainement contraire aux dispositions de l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle qui protège les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Les tribunaux doivent porter des appréciations objectives, ce qui signifie que des objets, même modestes, peuvent être protégés à la condition toutefois que le mérite ne soit pas totalement absent (Fr. et P. Greffe, Traité des dessins et modèles, Litec 2008, n° 292)

3. Enfin, le modèle aurait peut-être pu être annulé pour défaut de caractère apparent.

Que cela soit sur le fondement du livre V ou sur celui du livre I du Code de la propriété intellectuelle, un modèle est nul, ou insusceptible de protection, s’il n’est pas visible dans les conditions de son utilisation (sur cette question : Frédéric Pollaud-Dulian. La propriété industrielle, ed Economica 2011, n° 980 ; Fr. et P. Greffe, Traité des dessins et modèles, Litec 2008, n° 105 ; Prop Ind nov 2009, p 41, notre note).

L’on peut penser qu’il en aurait été ainsi en l’espèce si ce moyen avait été invoqué en défense, le mannequin en cause n’étant plus visible lors de son utilisation normale puisqu’il sera recouvert par des vêtements.

Avocat à la Cour
Professeur au CEIPI

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